Fiche de présentation

DUCHAMP, Marcel

né le 28 juillet 1887 à Blainville, Seine-Maritime, France, petit-fils d'Emile Nicolle, peintre ; 1904, s'installe à Paris ; académie Julian ; 1905, échoue au concours d'entrée des Beaux-Arts ; typographe à Rouen ; 1905-1906, quelques mois aux armées ; 1908-1910, publie dix-huit dessins, humoristiques par leur légende ; 1911, naissance de Yo Savy*; 1912, visite l'exposition futuriste* à Paris et retire du salon des Indépendants le Nu descendant l'escalier, peint l'année précédente ; bibliothécaire à Sainte-Geneviève ; 1913, voyage à Munich, Vienne, Prague, Berlin, Dresde, durant lequel il aurait été initié à l'alchimie; expose le Nu descendant l'escalier à l'Armory Show* et, par cette toile, devient célèbre aux États-Unis ; 1915-1968, alterne la vie à New York, les voyages et la vie en France ; 1920, participe à la création de la Société anonyme*; se travestit parfois en Rose Sélavy ; 1923-1943, se consacre aux échecs ; courtier et commissaire d'expositions ; 1932, joueur d'échecs professionnel ; 1950-1954, confectionne quatre objets érotiques ; 1952, membre du collège de Pataphysique ; 1954, épouse Teeny Sattler, ex-femme de Pierre Matisse*; 1955, naturalisé américain ; 1960, membre du National Institute of Arts and Letters des Etats-Unis ; 1962, de l'OULIPO*; 1968, meurt le 2 octobre à Neuilly ; incinéré, ses cendres sont transportées au cimetière monumental de Rouen.
signature : à compter de l'automne 1920 et jusu'en 1941, Rose Sélavy

Type(s) : Artiste

Technique(s) : Plasticien

Présentation : Plus qu'un peintre, plus qu'un artiste, il est un créateur cérébral, l'initiateur de l'art contemporain*. Il introduit dans la peinture et dans l'art le raisonnement, ceux-ci cessant de toucher les sens (et l'essence.. puisqu'il y aura plus de peinture à l'huile!), pour toucher l'esprit. Il supprime la référence à l'esthétique.
Peintre de chevalet.
Durant sa courte période de peintre de chevalet, il est déjà novateur. À 15 ans, il réalise avec talent L'Église de Blainville, (1902, PMA), dans la manière impressionniste. Des gammes rapides lui font aussi parcourir le fauvisme*, le truculent  Portrait du Dr Tribout, (1910, Rou), le cubisme* cézannien, le nabisme et l'onirisme à la Redon, tout cela de 1902 à 1911, de 15 à 24 ans. S'ouvrent ensuite les deux grandes années de création avec Portrait de joueur d'échecs, (1911, PMA) et deux Nu descendant l'escalier, (1911 et 1912, PMA), de couleurs bois, Jeune Homme triste dans un train, (1911, FPG) et Le Roi et la Reine entourés de nus vites, (1912, PMA), qui sont contemporains des futuristes, qu'il ne connaît pas. Le Passage de la vierge à la mariée, (1913) soit le coit.
Le Nu descendant l'escalier, exposé à l'Armory Show*, en 1913, est le coup d'envoi à la fois de Duchamp dans le Nouveau Monde, (alors qu'il est encore inconnu des Indépendants en France), et de la peinture moderne aux États-Unis ;  c'est aussi l'authentification de celui qui abandonne "la peinture rétiniene" pour créer tout autre chose, une oeuvre cérébrale ; il paraît futuriste* mais il se déclare se sentir plus proche des cubistes*. TU M' , (Tu m'emmerdes)  (1918, YUAG), est sa dernière toile " traditionnelle ". Cette année, il se fait tonsurer en étoile de comète "dont la queue est devant". Ill grave encore ses Morceaux choisis,(1967) d'après les nus d'Inges et de Courbet.
Ready-Made.
Entre-temps, partant de l'idée que tout ce qui émane d'un artiste est oeuvre d'art, il "crée" les ready-made*, -qui donnent lieu plus tard au mot piratage*- dont les premiers en date sont : La Roue de bicyclette, (1913), -"je la regarde tourner comme on contemple un feu de cheminée"- , Le Porte-bouteille, (1914, MMS), dont quatre autres versions en collections particulières et Fountain, (1917), (cfr. infra). Il commente une reproduction de La Joconde, gaillardement , L.H.O.O Q, (1919, MNAM et 1930), suggérant que son vol, en 1911, n'est qu'une escapade. Il réalise une petite quarantaine de ready-made, parfois " aidés " ou " rectifiés ", légendés ou simplement signés, "reproduits" à huit exemplaires en 1964. L'art cesse d'être création, il devient sélection. C'est son choix et sa présentation dans un lieu ad hoc qui fait de l'objet l'oeuvre d'art. En cela, il dépasse Dada*.
Cet esprit curieux explore de multiples domaines où, un demi-siècle plus tard, les artistes se reconnaissent encore et puisent les sources de leurs propres recherches et réalisations. L'illusion de la perspective renaissante est mise en lumière avec les trois Stoppages étalon, (1913-1914), mètre étalon et trois fils d'un mètre, tombés au sol, d'une hauteur d'un mètre, sont déformés et par leur souplesse et la gravité, " donne une figure nouvelle de l'unité de longueur ". Témoins oculistes, (1920), est le premier dessin signé Rose Sélavy. L'illusion de la forme statique se transforme une fois mise en mouvement, Rotor Relief, conçus dès 1920, (cfr infra), dessiné sur papier, (1923), réalisé en hémisphère peint de spirales noires et blanches, doté d'un moteur et d'un rhéostat, et enfin reproduits, (1935, MNAM et MACM)., tiré à 500 exemplaires. La musique de John Cage* est le prolongement d' Erratum musical, (1913), composition du au hasard; la Nouvelle objectivité*, ou l'arte povera*, ou le minimalisme* se trouvent dans Sculpture de voyage, (1918), lambeaux de bonnets de bain tendus sur fil; l'art optique* vient des recherches menées en fabriquant une Rotative plaquede verre, (1920, YUAG); l'art corporel* naît de ses sculptures érotiques de 1950 ; l'environnement*, c'est en 1944 qu'il y songe, quand il entame Étant donné 1 la Chute d'Eau, 2 , le Gaz d'éclairage, (1966, MPA) ; quant au conceptualisme*, c'et à l'ensemble de ses travaux qu'il est redevable. De La Mariée à Etant donné.
Mariée et Broyeuse.
Deux oeuvres ont traversé sa vie en le requérant longuement. La première, Le Grand Verre ou la MARiée mise à nu par ses CELibataires, même, (1912-1923, MPA) - une version reconstituée par Hamilton* en 1965-1966, à la Tate, une autre, en 1961, au Musée moderne de Stockholm, signées " pour copie conforme " par l'auteur de l'original. Il s'agit d'une peinture sur verre, esquissée en 1911, commencée en 1912 et portée à l' " état achevé " en 1923, brisée en 1927, restaurée en 1936. Pendant ces dix ans, il accumule les études, celles de La Mariée, à compter de 1912 (moitié supérieure), et à compter de 1913 (moitié inférieure) ; les études, de gauche à droite, des Neuf Moules Mâlics, coiffures masculines symboliques, Réseau de stoppages, étalons réduits à des lignes de canaux déférents, en fil à stopper, d'où " stop aux étalons mâles ", et Broyeuse de chocolat, symbolisant l'activité des célibataires " qui broient eux-mêmes leur chocolat ", selon un dicton populaire ; " ce n'est même pas un tableau, c'est un amas d'idées". L'autre oeuvre qui l'absorbe, vingt ans cette fois, à laquelle il travaille en secret, c'est Étant donné...; de 1944 date la première esquisse d'un nu qui allait être, à travers les trous d'une porte, l'objet de voyeurisme du spectateur; c'est un environnement* qui est montré à Philadelphie, après sa mort, en 1969. L'exégèse de ces deux oeuvres abonde : La Mariée... peut recevoir une interprétation alchimico-ésotérique, le principe mâle et femelle s'annulant dans un androgynat qui serait l'équivalent du grand oeuvre, c'est-à-dire de l'immortalité ; ou une interprétation religieuse, pour laquelle la mariée, c'est arie montant aux cieux grâce au " coeli batteurs "; interprétation psychanalytique enfin : la mariée mise à nu par les célibataires, m'aime, et ce serait le secret amour incestueux de Marcel pour sa soeur Suzanne. Quant à Étant donné..., ce serait a transposition tridimensionnelle de La Mariée ; on y retrouve les mêmes thèmes, le gaz d'éclairage qui circule dans la machinerie, l'eau qui doit être représentée dans la partie droite, les témoins célibataires devenus trous de la porte du voyeur etc. Les textes indiquant réalisations et montages sont d'une stupéfiante minutie. L'objet qui en définitive résume le mieux son message, c'est peut-être Couple de tabliers, (1959, MNAM). À regarder, on croit voir un phallus et un pubis de femme ; c'est tout au moins ce que l'on perçoit d' emblée; mais la réalité est fausse, car il s'agit d'une part d'un doigt de gant fourré et, d'autre part, du même doigt retourné. La réalité s'efface donc devant le regard porté sur elle. " C'est le regardeur qui fait le tableau.
Les Boites et autres :
En 1914, La Boîte, en 1934, La Boîte verte, en 1967, La Boîte blanche. Il édite par trois fois Boîte en valise, cette dernière comprenant 320 exemplaires; c'est la contestation de son propre art, puisque la mallette contient 79 reproductions de Duchamp dont les originaux quoiqu'il en dise, cessent de l'être et se trouvent multipliés. Au sarcasme de Duchamp, qui passe une partie de sa vie à traduire plastiquement ses jeux de mots, répondent l'ironie de Picasso* avec La Taulière, (1943) et l'humour de Miró*, avec Sculpture-objet, (1931, SMA).
En 1915, il écrit le poème 'THE', aux phrases grammatiquement correctes mais dénuées de tout sens. Il autorise les multiples de ses objets érotiques Not a Shoe, (1950), ou Feuille de vigne femelle, (1950), et Objet Dard, (1951), et Coin de chasteté, (1954), offert à Teeny Sattler comme cadeau de mariage Il est également cinéaste, dès 1920 avec un film abstrait ne recourant qu'au cercle et à la spirale.
Péripéties de Fountain :
En 1917, Duchamp achète un urinoir de porcelaine blanche chez le faïencier Mott, à New York, le signe R.Mutt, 1917,  et le présente à l'horizontale, au premier salon de la Society of Independent Artists de New York et est refusé aux motifs d'obscénité et de plagiat à quoi il répond que cet objet est en vitrine de plombier, d'une part, et d'autre part qu'il n'a rien copié, qu'il s'est contenté de choisir; la signature signifie soit la " mut " ation de l'objet par l'oeil de l'artiste ou du spectateur soit la proximité avec le patronyme du fabricant du sanitaire.En 1937, il le place en modèle réduit dans La Valise, (cfr supra). Il en modèle une réplique en papier mâché, traduite en porcelaine à 25 ex. D'autres répliques suivront. En 1950, le marchand new yorkais, Janis Sydney, présente un exemplaire acheté aux puces et "authenthifié" par Duchamp ; il est repris en 1953 pour une exposition Dada*, puis reproduit, dix ans plus tard, pour le Moderna Museet de Stockholm, toujours avec l'accord de uchamp. En 1964, ce dernier autorise le marchand milanais à 12 exemplaires. En 1993, au Carré d'art de Nîmes, Pierre Pinoncelli*, endommage volontairement l'objet exposé et le signe; il est condamné en 1998 à une amende de 300,000 F; en 2006, il récidive au centre Pompidou; poursuivi, il fait valoir qu'ayant modifié un "original" il est devenu co-auteur de l'oeuvre au titre de son intervention* mais il est condamné à 14,352 euro de frais de réparation.

Expositions : 1907, Palais de glace, Paris ,(G)  ; 1908, Salon d'Automne ; 1912, Salon des Indépendant, qui refuse le Nu..., Paris ; 1965, Cordiet et Ekstrom, New York, Fine Arts, Houston ; Walker Art Center, Minneapolis, et ensuite Nouvelle-Zélande et Australie, (P) ; Dancing around the Bride, Musée de Phildelphie, (G) ; 2014, Centre Beaubourg, Paris, pour la peinture, (P).

Rétrospective : 1963, Pasadena Art Museum ; 1966, Tate, Londres ; 1977, Musée national d'art moderne, Paris ; 1993, Palazzo Grassi, Venise.

Musées : Philadelphie Art Museum, la collection la plus importante au monde, et Yale University Gallery,

Citation(s) : Il a dit :
- Depuis Courbet, on croit que la peinture s'adresse uniquement à la rétine ; ça a été l'erreur de tout le monde. Le frisson rétinien ! Le tableau est en grande partie un ready-made : les couleurs sont manufacturées. La moitié du produit est fabriquée industriellement. Un Rembrandt est presque un ready-made. Si on enlève tout ce qui n'est pas de lui, c'est-à-dire la toile, le châssis, les couleurs, il ne reste pas grand-chose que Rembrandt ait fait lui-même. Il est bien possible que le concept de ready-made soit la seule idée vraiment importante à retenir de mon oeuvre. L'art, c'est la réalité avec un coefficient plus élevé. Peut-on faire des oeuvres qui ne soient pas d'art ?
- L'art n'a rien à voir avec un tour de force ou d'adresse (...) Pourquoi moins le choix que le faire ?
- J'ai voulu me servir de l'art comme pour (...) faire de ma vie elle même une oeuvre d'art , au lieu de passer ma vie à faire des oeuvres d'art.
- On ne peut jamais s'attendre à commencer à partir de zéro; on est obligé de commencer à partir de choses déja faites, comme sa propre mère et son propre père.-(A compter de 1911), j'allais toujours accorder un rôle important au titre, que j'ajoutais et traitais comme une couleur invisible.
- I would be a monk and not a monkey.
- Comme pour ma peinture, je ne considère pas que ma production soit une contribution importante pour l'humanité. Ce que j'ai fait est fait et l'importance de ce que j'ai fait n'est pas de mon ressort.-Le style veut dire que l'on suit la tradition, que l'on s'attache aux bonnes manières et à un modèle de comportement, tout cela n'ayant rien à voir avec l'objectif même de l'art.
- L'oeuvre d'art vit par elle-même et l'artiste qui s'est trouvé l'avoir faite est comme un medium irresponsable.
- J'ai eu trente-trois idées, j'ai fait trente-trois tableaux. Je ne veux pas me copier comme tous les autres. (....) Croyez vous qu'ils aiment cela et qu'ils ont du plaisir à peindre cinquante fois la même chose ? Pas du tout, ils ne font même pas des tableaux, il font des chèques.

On a dit :
- La philosophie de Heidegger est sans doute le premier des ready-mades philosophiques : fabriqué pour être interprété tout autant que fabriqué par l'interprétation. (Pierre Bourdieu).
-Il est célèbre de ne pas peindre. Il ne travaille pas : difficile dans ces conditions de faire fausse route. (André Breton).
-L'homme le plus intelligent de son siècle. (André Breton).
-C'est un mouvement à lui tout seul, un vrai mouvement moderne parce qu'il suppose que chaque artiste puisse faire ce qu'il pense devoir faire. (De Kooning).
-On était en 1968 et nul n'a voulu voir, alors, que la révolution de l'art était terminée, Duchamp en était le point final. Il avait renoncé à la peinture, décrété l'objet comme oeuvre et l'artiste celui qui regarde.    (Gérard Garouste)
-Quand il a présenté son urinoir pour la première fois, c'était extraordinaire, mais la deuxième fois, ça ne l'était plus. Peut-être cela gardai -il une signification, mais la troisième fois , l'urinoir n'était plus qu'un urinoir. (Anselm Kiefer).
-Sa plus belle oeuvre était l'emploi de son temps. (Henri-Pierre Roché).