Fiche de présentation

TÀPIES, Antoni

né le 13 décembre 1923 à Barcelone, Catalogne, Espagne ; de 1934 à 1942, s'intéresse au dessin en autodidacte ; 1944, rencontre Picasso*; 1945-1949, droit à l'université de Barcelone ; 1944, académie Valle ; 1945, se consacre à la peinture et abandonne le droit ; 1948, cofonde le groupe Dau al Set*; 1950, s'installe à Paris ; 1981, docteur honoris causa, du Royal College of Art, Londres ; 1985, Grand prix national de peinture de l'État français ; membre honoraire de l'Académie royale San Fernando de Madrid ; 1993, Lion d'Or de la Biennale de Venise ; vit à Barcelone et Campins ; ca. 2000, atteint de précécité ; 2012, meurt le 6 février à Barcelone.

Type(s) : Artiste

Technique(s) : Peintre

Présentation : Avant de s'abstraire définitivement de la réalité (ou d'y plonger totalement, c'est selon), il est un portraitiste sondant, au-delà des traits, la psychologie avec acuité. Une trentaine de tableaux, dont Autoportrait, (1945-1947), parsemés de signes ésotériques.  De 1948 à 1953, l’œuvre est faite de compositions surréalisantes*, Offrande, (1951-1952, MAM) ou La Nuit indifférente (1952-1953, Sofidu). Mais, déjà avec Boîte aux ficelles, (1946, fond. Antoni Tàpies, Barcelone ou FAT), il révèle la volonté d'exposer la matière brute en la séparant, en l'encadrant pour forcer le spectateur à y jeter un œil neuf : c'est l'assomption du matériau indiqué, et promu grâce à l'artiste. Les Nouveaux réalistes* suivent cette démarche et un peintre comme Burri*.
Léonard de Vinci dit que lorsqu'une idée lui vient, il va regarder un mur couvert de crasse dans laquelle il lit des "paysages, batailles, nuages, attitudes insolites, visages comiques, draperies ; dans cette masse confuse d'objets, l'esprit trouve une foule de dessins et de sujets tout à fait neufs". Ainsi va désormais l’œuvre de Tàpies dont le nom signifie, en catalan, "mur".
En 1953, peu de temps après Bogart*, il promeut la matière, il invente de nouveaux mélanges comme celui de la poudre de marbre et de l'huile, il use du latex qui permet protubérances et failles, bref il transforme la peinture de chevalet-fenêtre en une peinture-objet, avec des graffitis*, un morceau de jute, de plâtre, une coulée de vernis à la blondeur du miel ; il réalise ainsi la prédiction d'un tenant des sciences occultes qui avait annoncé que son patronyme influencerait sa destinée. Peinture avec croix rouge, (1954, KM Saint-Gall), Gris avec graphismes noirs, (1962, KBâ), Grand blanc horizontal, (1962, MNAM), Grand papier gris avec symbole blanc, (1965, coll. Perez Simon, Mexique), le symbole étant au centre du support un Z atrophié, Grande surface marron, (1967, FMSPP). Symétriques, monochromes, elles sont la part "classique" de l’œuvre. Et encore Lit, (1995), d'une puissance formidable, déployant en diagonale son trottoir de ciment.
Parmi les signes dont il frappe ses supports, la croix est le plus récurrent depuis 1954. Il en élargit la signification chrétienne pour remonter à une symbolique universelle, Croix et coupe, (2003).
À compter du milieu des années 1950, il dépasse la simple traduction graphique de la matière brute tout en restant fidèle au misérabilisme de son inspiration. Il met en page (et en rage), l'objet ordinaire, commun, sale, lamentable, sorti de son contexte quotidien et utilitaire, soumis au regard renouvelé, accédant ainsi, lui aussi, à l'oeuvre (exceptionnelle) d'art. Pêle-mêle, on trouve un violon sur un rideau de fer, Rideau de fer au violon, (1956, FAT), une assiette brisée, Hommage à Gaudí, nº IX, (1956, LACMA), un tabouret soutenant un paquet d'ordures, des linges sales tendus à même une toile, un panier égaré dans un écheveau de fil de fer, une compression végétale en forme de paillasse, Paille pressée, (1969, MCM, 1969, FNAC), des déchets de décharge, un Siège couvert, (1970, WLMD),
il recouvre comme Christo* emballait, dix ans auparavant. C'est son aspect pop* qui anticipe de deux à trois ans Rauschenberg* et Johns*.
Il devient "baroque". L'esthétique ne réside plus dans la technique de l'artiste mais dans l'offrande à l’œil du spectateur de la banalité sublimée,. Il produit de l'anti-art, comme Beckett écrit de l'anti-théâtre. Démarche intellectuelle, peut-être, qui se fait manifeste en forme de contestation. Œuvre rudérale, certainement, métamorphosée par le truchement du peintre comme les graffitis le sont par la caméra de Brassaï. Du milieu des années 1960 à celui des années 1990, il se réfère au corps humain (notamment par des mains venues de gants moulés en bronze), matérialisé, aplati en un énorme plan, Matière en forme de pied, (1965, FAT), ou Nu,(1995), ciment obscène et crin de jais pour la chevelure, ou encore Jeu de paume,(1994), informel, mais si l'on en croit le titre, peint à la main. Dans Composition, (1966) on peut distinguer la forme noire d'une table ou d'un piano à queue en plongée. Un œil, un pied, des dents, un crâne momifié aux allures de Toutankhamon, s'intègrent au travail de muraliste et y introduisent cette référence à la réalité. Il peint des mots dans une agitation d'une même couleur au pinceau, comme Schnabel* au milieu des années 1980, mais aussi une simple lettre, Grand T, (1982, SG), bien qu'il s'agisse d'une minuscule.
À la fin de ces années, il sculpte en manipulant cette matière prise naguère comme objet de sa peinture, Baignoire, (1988), émaillé et graffité.
Désormais, la double vocation de mise en situation d'objets triviaux et de traduction graphique de la matière brute, coexistent, parfois dans la même œuvre, comme Jhana, (1992), matelas en mousse ou Diptyque nocturne, (1993), nanti, en son milieu, d'un sommier ; le tout présenté en ensemble démantibulé, Rinzen (1993).
En 1995-1997, il revient à l'art du portrait, ciselant des visages picassiens* au sein d'un brouhaha de matières désordonnées, Principi, (1997), fesses, vulve et des testicules gravés au bas d'une verge finement démesurée. Dionis, (1997), un chien à la "cave canem" des Romains. Corps et Lettres, (1999), un torse couvert de lignes de lettres, capitales aux deux sens du terme. Une vaste composition avec, à la tranche, un bout de croix, un corps blanc étendu au sol et, en creux, une silhouette négroïde, M blanc, (1998), évocation du Ku Klux Klan, ou Vision première, (2001, fond. Gianadda*), forme frontale.
En 2002, il se remet à la sculpture en terre chamottée, avec, omniprésente, la croix noire à quatre branches égales. Il est le témoin d'une époque, celle de Fin de partie.
On rapporte que, à ses débuts, il aurait antidaté des tableaux pour établir sa précocité. On estime l’œuvre à 8 000 numéros.

Expositions : 1949, Institut français, Barcelone ; 1950, Layetanas, Barcelone ; 1955, 1956, Stadler, Paris, (P) ; 1956, 1993, Biennale de Venise ; 1959, Martha Jackson, New York ; 1996, 2000, Lelong, Paris (P) ; 2012, Pace Gall. New York ; 2013, Guggenheim, Bilbao, (P).

Rétrospective : 1962, Kestner Gesellschaft, Hanovre ; innombrables, jusqu'en 1988, musée Cantini, Marseille et Lelong, Paris ; 1994, Jeu de Paume, Paris

Musées : 1984, Fondation Antoni Tàpies, Barcelone, inaugurée en 1990, (2000 oeuvres).

Lieux publics : 1994, Toutes les causes, Unesco, Paris.

Citation(s) : Il a dit :
- The dramatic sufferings od adults and all the cruel fantasies of those of my own age, who seemed abandoned to their own impulses in the midstof so many catastrophes, appeared to inscribe themselves on the walls around me. (1969).
- La science nous a fait voir les choses d'une manière différente, de manière très différente des artistes qui appliquaient les lois traditionnelles de la perspective [...] aujourd'hui, il y a d'autres voies pour retenir la réalité visible. [...] je considère que je suis plus réaliste* que n'importe quel artiste "photographique ". J'essaie de voir ce qui est réel profondément, et non ce qui est en surface. En réalité, je ne vois pas de frontière (entre peinture et sculpture), je ne sais pas où elle passerait exactement. Nombre de mes tableaux sont travaillés sur les marges et par-derrière, afin d'en finir avec la conception du tableau-fenêtre et de construire des tableaux-objets. Et de là à des reliefs, à l'introduction d'objets sur la surface, à des assemblages, la distance est vite franchie.
On a dit :
- Le mur est un refuge pour tout ce qui est réprimé, rejeté, interdit, opprimé. (Brassaï).

Bibliographie(s) : Anne Agusti, Catalogue raisonné, 7 vol. Könemann, 1999, Cologne.