Fiche de présentation

MAGRITTE, René

né le 21 novembre 1898 à Lessines, Wallonie, Belgique ; 1916-1918, académie de Bruxelles ; 1921-1924, travaille comme graphiste dans une usine de papiers peints ; 1924-1925, publicitaire pour diverses maisons de mode ; 1927-1930, vit au Perreux-sur-Marne, Val-de-Marne ; 1931, crée son agence de publicité Dongo ; 1947, est exclu du mouvement surréaliste* au prétexte que Georgette, sa femme, croyante, portait une croix d'or au cou, Breton* condamnant le "surréalisme en plein soleil" ; 1965, cesse de peindre pour raisons de santé ; 1967, meurt le 15 août à Bruxelles ; 1987, son atelier est dispersé par Sotheby's à Londres pour 160 millions de francs belges.
En 2003, L'Oiseau, (1965), de la Sabena en faillite, est vendu 3 400 000 euros.

Type(s) : Artiste

Technique(s) : Peintre

Présentation : Débuts fauves*, Buste en plâtre, (1917) ou Portrait de l'écrivain Pierre Brodcoorens, (1921, MRAMBx). Débuts géométriques, figuratifs et postcubistes, L'Homme à la fenêtre, (1920, communauté française de Belgique), marqués par l'Esprit Nouveau*, Le Modèle, (1922), ou non-figuratifs*, Portrait de Pierre Bourgeois, (1920, ibid.), ou Le Forgeron, (1921, PMMK), dans la mouvance du Magnelli* de 1915. Art déco* enfin, Baigneuse, (1925, CHAR).
En 1925, il met en place son vocabulaire, il entre en surréalisme avec une centaine d'idées qui donneront plus d'un millier de tableaux, dont les titres sont choisis pour leur seule qualité poétique sans grand rapport avec le sujet.
D'emblée il est un imagier personnel, même si l'on devine quelque faible trace d'Ernst*, L'Esprit comique, (1927), notamment dans le thème du bois veiné, ou de Picabia*, Le Voyage des Fleurs, (1928), ou encore de De Chirico*, Le Village mental, (1926).  Dans ces premières années, dites de "l'anti-peinture", le pinceau n'est pas totalement lisse, les couleurs pas totalement éclatantes, le sujets pas totalement simples. Il cherche à domestiquer le torrent d'images qui se présente à lui, avec ses récurrences thématiques, les objets fétiches, la dualité, la transparence, le glissement sémantique, Les Epaves de l'ombre, (1926, MPSG).
Parmi les objets fétiches, il y a d'entrée de jeu le grelot, la quille et le bois découpé en déchirure qu'il rassemble en un tableau, Le Gouffre argenté, (1926), avant de les reprendre maintes et maintes fois comme ingrédients d'une composition nouvelle ; on voit encore le grelot dans La Bataille de l'Argonne, (1964).
La double figure ou le double visage apparaît avec Portrait de Paul Nougé, (1927, MRAMBx), figures jumelles, séparées par une porte sur fond de métal, perforé ; Double Secret, (1927, MNAM), dont un écorché rempli de grelots ; Les Amants, (1928, ANG), le visage recouvert d'un linge, souvenir de sa mère suicidée et retrouvée dans la Sambre, chemise de nuit rabattue sur la tête. Duplication d'un même personnage de face et de dos, d'un même visage, de nuque et de face. Multiplication de figure dans L'Assassin menacé, (1927, MoMA), qui met en place et construction et thèmes dans une froideur terne.
L'année 1928 voit éclore de multiples versions de ces fantômes. Il est tourmenté par la question des mots - Saussure meurt en 1913 et Wittgenstein en 1951 - et des images sur laquelle il rédige, en 1929, un texte qui l'amène à se révéler le plus platonicien des surréalistes : si la fiction-peinture reproduit la réalité (une pipe), et si la réalité livre le concept (toujours la pipe), la fiction-peinture ne reproduit pas le concept, Ceci n'est pas une pipe,  La Force de l'habitude, (1929, LACMA) : en effet, ce n'est qu'une représentation de pipe; thème exploité jusque (1960) portant la double phrase, This is not an Apple, écrite par l'artiste et Ceci n'est pas un Magritte, La Clé des songes, ajoutée par le donataire, Max Ernst" qui avait complété la pomme avec un oiseau en cage.
Cette recherche linguistique par l'image l'amène à des inventaires d'objets dont il cherche à rendre manifeste la réalité, (1927), ou de concepts lorsque des formes indéterminées comportent un mot le fixant, L'Espoir rapide, (KH). Ou enfin l'affirmation explicite du propos, Le Palais des rideaux, (1928, MOMA), deux cadres irréguliers, dans la toile, l'un montrant l'azur, l'autre portant le mot "ciel", repris en anglais en 1955, Tout cela est bien plus que calembour graphique. La transparence, c'est souvent le ciel qui fait illusion par substitution, lorsque la croisée s'ouvre derrière un chevalet qui disparaît en accaparant exactement un fragment des nuages, La Condition humaine, (1933, NGW), lorsque le ciel se trouve capturé par la vitre brisée, La Clé des champs, (1936, Th-B.) ou le renouvellement du même phénomène avec une vue rurale, La Belle Captive, (1931), avec un navire, Le Séducteur, 1950, Akron, Ohio). La transparence, c'est aussi celle des corps dont les veines sont devenues végétales, La Forêt, (1926, musée d'Art wallon, Liège), la porte déchiquetée avec vue sur un arbre à feuille unique, La Perspective amoureuse, 1935), puisqu' "une porte implique un passage". Ou le grand oiseau de nuages clairs dans le ciel crépusculaire, Le Retour, (1940, MRAMBx). Le glissement sémantique peut dépasser celui des "toiles à mots". Il joue de la réalité et de la fiction pour les superposer, la toile au paysage, le visage à l'haltère, les pieds aux chaussures, (1935, MMS, MNAM, BvB), repris jusqu'en 1947, le corps sexué au visage, Le Viol, (1934, DMCH), et plus hermétiquement, La Durée poignardée, (1938, AIC), avec son train à vapeur, donc à cheminée, sortant d'une cheminée de salon. Le plus déstabilisant est sans doute Le Blanc-seing, (1965, NGW), avec sa cavalière entre les arbres, sectionnée par ceux-ci, sans que l'on puise dire comment, et provoquant la question pirandellienne une fois encore : où est la vérité, où se trouve le rêve ? Il y a le glissement paraphrasé, pour évoquer sans trop appuyer, la mort. Ce sont Le Balcon de Manet, (1950, Smak) ou Madame Récamier de David, (1950), des décors à l'identique et des corps remplacés par des cercueils. Il y a enfin, en contrepoint ou en appoint à la légèreté, la pesanteur de la pétrification. L'indifférence des pierres est sans doute la même que celle du néant. Le Domaine d'Arnhem, (1938), La Clef de verre, (1959, DMCH), celui-ci avec son bloc en apesanteur, celui-là avec la cime qui se modèle en tête d'aigle. Ou la pétrification du rêve, lorsque le mot en capitales est crypté dans une construction de monolithes à la Chillida*, L'Art de la conversation, (1950, musée de La Nouvelle-Orléans). Pétrification pathétique de deux antisirènes, corps de poissons et jambes humaines, Les Merveilles de la nature, (1953, MAMChi), serrés l'un contre l'autre. En 1942, apparaissent les rideaux rigides, sans support, sur une scène déserte, Les Misanthropes, (1942, musée préfectoral d'Hiroshima) et encore dans Les Mémoires d'un saint, (1960, DMCH).

La période vache
De 1943 à 1948, c'est la période dite du style "vache" (par réaction au style "fauve"), c'est-à-dire avachi, durant laquelle, piqué par on ne sait quelle tarentule, il fait du Renoir, de l'Ensor*, du Matisse* décadents et quelques toiles à la facture originale mais triviale. On a parlé de geste autodestructeur, profondément surréaliste, mais que l'on compare Viol, (1945) à Viol, (1934, DMCH) et l'on voit la mièvrerie face à la vigueur.

Retour à Magritte

Il doublonne à nouveau avec L'Empire des lumières, dont on compte seize versions à l'huile et dix à la gouache, de 1948 à 1962 (MRAMBx, FPG, MOMA, etc). C'est l'illustration du titre de Barrès Le mystère en pleine lumière. Le ciel est là, transparent, lumineux, pommelé tandis que la terre est dans les ténèbres, éclairées d'un seul réverbère. La toile originale est commencée en 1948 et achevée en 1962.
En 1952, huit ans avant Le Rhinocéros de Ionesco, il évoque l'envahissement par des objets trop grands, La Chambre d'écoute, (1952, KZ), ou trop nombreux, La Légende dorée, (1958). Ses figures d'homme portant invariablement le chapeau melon du petit-bourgeois qu'est l'artiste dans sa vie quotidienne, on les voit à compter du Bon exemple, (1953, MNAM) et surtout dans la pluie humaine de Golconde, (1953, DMCH), jusqu'au Fils de l'homme, (1964). Son univers est froid, révèle le vide, l'absence, la réification, et la plupart du temps, ses humains sont végétalisés, minéralisés ou voilés.
Mais lorsque Dalí* choisit d'être l'hystérique du surréalisme, Magritte préfère en être l'espion, c'est-à-dire le subversif ; l'un choisit l'esbroufe, l'autre, vêtu comme le plus petit des bourgeois, la grandeur de la modestie. La magie de sa peinture claire, léchée, aérée, démontre sa suprême aisance qui sait retrouver la majesté du classicisme antique comme dans ces toiles de nus féminins identiques, aux couleurs près, qui se répondent à dix ans de distance, La Magicienne, (1935) et Le Rêve, (1945). Un imagier-philosophe en chapeau melon, grâce à qui le mystère devient réalité incarnée dans une toile.

Les "faux"
Un ami écrivain surréaliste belge, Marcel Mariën*, prétend, dans un livre de 1983, qu'entre 1942 et 1946 (c'est-à-dire aproximativemnt durant la période "vache"), il vendit un grand nombre de dessins et de tableaux fabriqués par Magritte, signés Picasso*, Braque*, De Chirico*, ou Ernst*, aujourd'hui répertoriés comme authentiques dans des catalogues très officiels. La veuve de Magritte obtint la saisie de l'ouvrage, en Belgique tout au moins. Cependant, Magritte écrit le 19 mai 1944 : "Je traverse toujours une crise de fatigue intensive, je n'ai rien créé ces derniers temps, sauf commencé un Titien et un Hobbema que je destine à une salle de vente ; je vais essayer ce genre de peinture, et si cela marche mieux que la peinture Magritte, je délaisserai celle-ci, pour cause de bénéfice insuffisant." Le même Mariën distribue, en 1962 lors de la rétrospective, un tract avec une reproduction d'un billet de 100 F, portant à la place de l'effigie du roi celle de Magritte, et l'annonce d'une "grande baisse" sur sa peinture pour la mettre "à la portée de toutes les bourses". La Condition humaine, variait de 5 000 à 4 000 FB selon qu'elle avait vue sur la mer ou la forêt, tandis que tout achat de Magie noire, donnait droit à un treizième. La Banque de Belgique porte plainte, car la reproduction, même fantaisiste, d'un billet de banque est interdite. "Ce qui distingue un billet faux d'un billet vrai ne dépend que du faussaire. Un homme passait en justice, accusé de faux, et deux billets portant les mêmes numéros étaient sur la table du juge. Il fut absolument impossible de les distinguer. " De quoi m'accusez-vous, disait-il? Où est le corps du délit ? " (Paul Valéry).

La publicité
Magritte vit longtemps de la publicité* tout en la vomissant, "travaux imbéciles" (...)" parce que le public veut des choses médiocres". De l'affiche Pot au feu Derbay, (1918) au prospectus Moments inoubliables du cinéma, (1964), il donne des travaux la plupart du temps très différents de son style de peintre, mû par une impécuniosité récurrente. Exceptionnellement, on trouve Exciting Perfume For Men, (1946) et l'Oiseau, (1946) emblématique de la compagnie aérienne Sabena qui sont empruntés à l'oeuvre de création artistique.

Les collages
En 1925 et 1926, puis en 1955-1966, il pratique la technique des papiers-collés ; leur incision correspond avec la netteté des contours de sa peinture. La plupart du temps, ce sont des partitions de musique qu'il découpe. Ces collages servent de préparation comme on peut en juger par Le Jockey perdu, colllage en 1926, dont les arbres-quilles sont des morceaux de partition, suivi de gouache et huile en 1957.

Les gouaches et les dessins
Les dessins sont souvent préparatoires, servant d'esquisses à ses tableaux. Quant aux gouaches, elles apparaissent en 1930, et sont rarement indépendantes des huiles qu' elles suivent le plus généralement pour les multiplier par autant d'originaux. Et le reste... De 1926 à 1964, il peint des objets et notamment des bouteilles ; de 1920 à 1938, il illustre de nombreuses partitions musicales en mélomane qu'il est.

Le photographe
Si en 1956, il achète un appareil de photo et se fait prendre dans des situations qu'il met en scène, dès l'enfance, il photographie la vie de famille, des Autoportrait (1928) en photomaton, En chapeau melon,(1934), les pitreries des surréalistes et surtout sa femme, Georgette endormie, (1936). Quelques clichés lui servent pour la publicité ou pour des tableaux.
En 1967, il fait couler des bronzes d'après ses oeuvres, en surveille les cires et les signe.

Expositions : 1916, Châtelet , Paris, (G ) ; 1927, Le Centaure, Bruxelles (P) ; 1936, Julien Levy, New York, (P) ; 1936, 1re exposition surréaliste internationale, Londres ; 1948, gal. du Faubourg, Paris, (P) ; 2013, MoMA, New York, (P).

Rétrospective : 1952, 1962, Knokke-le-Zoute ; 1954, 1978, palais des Beaux-Arts, Bruxelles ; 1956, Chaleroi ; 1959, musée d'Ixelles ; 1960, musée des Beaux-Arts, Liège ; 1962, Walker Art Center, Minneapolis ; 1964, Arkansas Art Center, Little Rock ; 1965, musée d'Art moderne, New York ; 1967, musée Boymans-Van Beuningen, Rotterdam ; 1979, Musée national d'art moderne, Paris ; 1998, musées des Beaux-Arts, Bruxelles.

Musées : Musée Magritte, rue Essegem, Jette-Bruxelles ; musée Magritte, Place royale, Bruxelles ; Du Menil Collection, Houston, 54 œuvres.

Lieux publics : une anthologie de l'œuvre, 8 panneaux géants (4 x 8 m), reprenant des œuvres célèbres, peints en 1953, au casino de Knokke-le-Zoute. Le raffinement du pinceau le cède à l'épaisseur de la brosse.

Citation(s) : Il a dit :
- Les groupements d'artistes, parce qu'ils sont wallons ou parce qu'ils seraient, par exemple, végétariens, ne m'intéressent en aucune façon, quoique les artistes végétariens auraient une petite supériorité sur les artistes wallons : un comique appréciable.
On a dit :
- C'est de la peinture littéraire ; c'est plein d'astuces on reste dans la résolution d'une énigme littéraire, pas dans l'art. Bon pour la réclame. (Henri Cartier-Bresson).

Bibliographie(s) : David Sylvester, Sarah Whitfield, Michael Raeburn et Lynette Cawthra, Catalogue raisonné, 5 vol., Fonds Mercator, Anvers, 1992-1997.