Fiche de présentation
DUBUFFET, Jean
né le 31 juillet 1901 au Havre, Seine-Maritime, France ; 1916, École des Beaux-arts du Havre ; 1918, cours de l'académie Julian, Paris ; 1924-1932, après sa démobilisation, arrête de peindre pendant huit ans, estimant que l'art véritable se rencontre moins dans la "culture" que chez les gens simples; entre dans le commerce de vins de son père ; 1937-1942, abandonne de nouveau la peinture ; 1942, la reprend définitivement ; 1946, première lettre à Chaissac* ; 1947, crée l'expression art brut* ; 1947-1948-1949, voyages au Sahara; 1955-1959, s'établit à Vence ; meurt le 12 mai 1985 à Paris; est enterré au Touquet ; lègue sa collection d'art brut à la ville de Lausanne.
Type(s) : Artiste
Technique(s) :
Peintre
Présentation : On pourrait dire que l'art brut* de Dubuffet (ou de Chaissac) est une réaction spontanée contre l'art intellectuel, contre la beauté, privilèges de quelques-uns, comme l'était l'art du facteur Cheval.*. Mais Dubuffet n'a rien de spontané et son anti-inellectualisme est trop théorisé pour être convaincant. Exclure la profondeur et la perspective parce que la toile est à deux dimensions seulement est un sophisme. Refuser d'intervenir sur les réactions du matériau employé par soumission au hasard amène à se demander "jusqu'à quel point ?", puisqu'il n'y a pas d'oeuvre d'art sans l'intervention de l'homme.
Trois Personnages dans un paysage de montagne, (1924, MNAM), où les rotondités des cimes et des gens entremêlées donnent une solide peinture à la Dufresne*, qui pourrait être classique, n'était cette intention délibérée - déjà - de fondre les plans. Et jusqu'en 1930, il y aura aussi des portraits peu montrés. Fond de rivière, (1927) est exceptionnel, car il annonce les toiles matiéristes des années 1960. Dans la série Lili, dont Lili assise, (1935, fond. Jean Dubuffet) et Lili avec melon et parapluie, (1936), la Nouvelle Objectivité* est marquée d'Art déco*. En 1942, donc, il "recommence". À Marie-Louise Descombes, (1942) a des qualités d'"académie" à la Campigli*. La série Le Métro, (1943, MNAM) affirme la structure de la toile avec ses horizontales et ses verticales ; c'est Corneille* avant la lettre, tout comme Essayeuse de chapeau, (1943). Il abandonne toute convention, Nu chamarré, frontalité, panachage de couleurs comme les fauves*, et schématisation naïve des corps et des visages. Cependant, La Veuve, (1943) a des grâces matissiennes* dans une pâte élaborée, à l'encontre de Paysage champêtre, (1943), cloisonné comme un vitrail dont les tamponnages bleus et rouges tassés tiendraient la place des vitres.
Il alterne les maladresses faussement naïves (ou l'inventivité schizophrénique ou enfantine) et l'inspiration classique en 1943 et 1944, jusqu'à Jazz-Band (Dirty Style Blues), (1944, MNAM), qui marque un nouveau début, car au refus de la perspective, au refus du dessin élaboré, au refus de la ressemblance, il ajoute le refus des couleurs qui pourraient paraître agréables ; les six musiciens, debout, y compris le pianiste, sont représentés frontalement devant un piano, présentant dans un seul même plan clavier, pieds et couvercle ; ils se détachent en marron souillé sur fond beige sale. Cette même année, il adopte la célébration du matériau terrestre dont use l'homme et auquel il retourne ; il n'y a de profondeur que celle de la superposition de matières différentes, grattées ; dans celle-ci, l'être humain, par son graphisme primitif, qui réhabilite la laideur, laisse sa trace, son signe, la sémiologie de ses origines, Bocal à vache, (1943, MNAM), avec son sol vertical ne laissant au ciel qu'une mince bande de la toile. Il se tient à cette peinture, à dominante terre de Sienne jusqu'à Tape à m'Oeil, (1962) ; l'artiste trouve le matériau premier, brut, qui marque sa création et la création. À noter, aussi, de brefs messages, graphiquement ornés, en juin 1944.
Depuis 1945, avec Ancien Combattant, il imagine une longue série de Portraits, anonymes ou dénommés, qu'il va mener jusqu'à Le Planteur, (1954) ; dans la pâte épaisse mêlée de bitumes, de végétaux, de minéraux, il sculpte des figures grimaçantes et déformées : ce sont Michaux*, Tàpies*, Chaissac, qui l'a largement inspiré, Paulhan, etc., plus difformes les uns que les autres et devant lesquels il faut se forcer pour découvrir la ressemblance avec le modèle. Lorsqu'il s'agit de paysages, la matière sculptée, repoussée comme un cuir de Cordoue, remplit la toile aux 9/10, se développant vers le haut en cryptant quelque personnage ou quelque animal, fruit du hasard sacré, se terminant par une crête découpée : Le Voyageur sans boussole, (1952, MNAM) ou Pierre de vie, (1952, KZ). Après avoir usé de mélange, le seul végétal est retenu, en prise directe, pour des collages, Jardin nacré, (1955, mus. des Arts décoratifs, Paris) ou L'Âne égaré, (1959, ibid.).
En 1957, l'effort sur la matière pour la matière trouve son point ultime : le grain lui-même de la substance est représenté - en l'occurrence, du bitume -, et ce faisant, l'abstraction pure - rien de figuratif au sens traditionnel n'étant représenté - rejoint le concret le plus immédiat, puisque c'est la matière elle-même qui est le sujet du tableau. À ce titre, on pourrait situer Dubuffet parmi les Nouveaux réalistes*, La Plage aux heures, (1958), simples nuages de goutelettes. En 1961, un bref retour à la narration sous forme de portraits collectifs, Affluence ou Restaurant Rougeot (fond. Jean-Dubuffet).
La même année, on assiste à une mutation importante, au début de la seconde étape de l'artiste, celle que l'on pourrait appeler "monocellulaire". La structure du tableau devient première, faite de pièces de puzzle, portant des personnages fidèles à leur aspect fruste, plaqués, cryptés, le tout assez haut en couleur, La Main dans le sac, (1961, SAM). L'autonomie des éléments de la représentation, délimitée par un trait noir, évolue vers un assemblage de pièces de plus en plus simples jusqu'à celui de cellules juxtaposées, comme l'ami Chaissac les peignait depuis avant guerre. Ce bouillonnement qui prolifère, c'est encore un retour à l'histoire des origines de l'homme. L'ensemble peut être regardé synthétiquement, non comme un assemblage de particules, mais comme un craquèlement d'un tout, la terre, se décomposant en particules.
L'Hourloupe :
L'évolution vers l'agrandissement du motif qui débute avec La Gigue irlandaise, (1961, MNAM) ou L'Instant propice (1962, SMG) - le premier non-dit de l'Hourloupe - va jusqu'à La Marée de l'Hourloupe, (1963). C'est l'aboutissement de la recherche sur la forme, découverte par hasard, alors qu'il griffonnait au téléphone, et proliférant avec la rapidité d'un cancer. Il prend alors le parti de ne plus user que du bleu, du blanc et du rouge, avec les cloisonnements noirs. À nouveau, il fait se rejoindre le non-figuratif* - parce que l'oeil non averti ne voit aucun sujet dans ses tableaux -, Banque des équivoques, (1963, mus. des Arts décoratifs), et le figuratif, puisqu'une lecture attentive permet de discerner précisément l'organisation de ces cellules en un tout cohérent, Site à l'oiseau, (1974, fond. Jean-Dubuffet). On dit que pour réaliser ces toiles, il jette dans une boîte à chaussures des petits cartons découpés et peints, secoue la boîte, photographie et agrandit le motif aléatoire obtenu. La forme même du motif appelle, conçues sur le même principe, dès 1966, des sculptures de grandes dimensions : Table porteuse d'instances, d'objets et de projets (1968) et un environnement, Jardin d'hiver, (1968, MNAM), en noir et blanc, dans lequel on eut se retrouver foetus. Ou encore Élément archi-contorsionniste, (1969, fond. Gianadda). Ces sculptures aux formes biscornues allient la complication du détail à la simplicité de l'ensemble. Coucou Bazar (1973, SMG) est un spectacle d'animation permanent d'un tableau Hourloupe ; à la manière du théâtre de marionnettes, des décors et des personnages plats, coulissants, sont parcourus par des hommes habillés en Hourloupe qui se meuvent au pas de spationaute, au son et sous la lumière réglés pr ordinateur. La vie entre dans ce tableau et par ses personnages mobiles, le tableau entre dans la vie.
De 1974 à la fin de sa vie, dix ans plus tard, il répartit sa production sous de nombreux titres de séries : Parachiffres, Mondanités, Lieux abrégés, (1975), Théâtre de mémoire, (1975-1978), Sites aléatoires, (1982), Mires, (1983-1984), Non-lieux, (1984). Tout cela est pure fantaisie et sans signification réelle. L'Hourloupe se retrouve à deux dimensions, Effigie incertaine, (1975, fond. Jean-Dubuffet). On voit aussi des pièces du puzzle se détacher sur fond uni, zébré de graffitis* cryptant quelque visage schizo, Parachiffres, (1974-1975, ibid.). Les montagnes peuplées de personnages bruts, hors échelle, déjà vus en 1951, réapparaissent en 1975. De 1976 à 1982, ses compositions, Théâtre de mémoire, sont faites de peintures morcelées et collées, de petits personnages bruts en alvéole, séparés par des gribouillages, soit à la dimension de peinture de chevalet, soit celle de grande composition, Vacances de Pâques, (1976, ibid.), Dramatisation, (1978, ibid.).
Il s'explique : "Les assemblages sont tout à fait improvisés lors de l'exécution. Un assemblage vient d'un autre. Si dans le dernier fait des effets m'intéressent, ils sont le point de départ du nouveau. Quelquefois, je vise à la retrouver; dans d'autres cas à les varier; quelquefois aussi j'en prends le contre-pied. Avant de procéder aux assemblages, j'ai à faire un bon nombre de peintures préliminaires dans lesquelles découper ensuite des morceaux. [...] L'opération est en deux temps puisqu'elle comporte d'abord la confection de peintures préalables en bon nombre. S'y ajoutent les morceaux non utilisés pour les réalisations antérieures et qui jonchent le sol de mon atelier, empilés en tas les unes sur les autres. De beaucoup d'entre eux j'ai le souvenir ; je remue les piles pour les chercher. Au moment venu d'opérer je n'ai plus qu'à faire l'essai de leurs juxtapositions et associations qui sont déterminantes de l'effet du tableau. J'expérimente bien sûr de les changer de place ou de les remplacer par d'autres. Mais l'assemblage est fait alors très rapidement."
Parfois la composition abandonne tout montage figuratif, La Résistance, (1976, ibid.). Cette non-figuration*, il en fait un point culminant de sa carrière quand, se saisissant de jaunes, de rouges sur profondeur de bleu ciel, il réalise des zigzags jubilant dans lesquels pointe peut-être une réminiscence de l'humain : sont-ce des yeux, ces taches circulaires ? Elles en ont la fixité. La brillance de ce dernier chromatisme de jaunes, rouges, blancs, noirs parfois, très purs, zèbre de grillages d'éclairs sombres des lieux heureux, Site sans personnage, (1981, ibid.) ou Mire G48, Kowloon, (1983, ibid.) ou Circulus, (1984, ibid.) et Le Cours des choses, 22 XII 83, Mire G174, Bolero, (1983, MNAM). L'adieu ultime, ce seront ces mêmes zébrures blanches sur tableau noir en 1984.
De 1973, New York et Paris déjà en 1978, Turon, il monte un spectacle Coucoun Bazar, quand des hommes costumés en Hourloupe se mêlent à quelques uns des 175 praticables, 13 scènes pour 60'.
En 1954, il est aussi sculpteur à base d'éponge, de mâchefer et d'autres matériaux naturels.
Expositions : 1943, René Drouin, Paris ; 2005, Musée du Touquet, (P) ; 2014, De Paris circus à l'hourloupe, Chrisite's, Paris (par Paul Nyzam)
Rétrospective : 1960, Kunsthaus, Zurich ; 1973, Grand Palais, Paris ; 1985, Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence ; 1990, Kunsthalle, Francfort ; 1993, Fondation Pierre Gianadda, Martigny.
Musées : Arts décoratifs, Paris : 125 dessins, 25 peintures et sculptures, donation de 1967; Fondation Jean Dubuffet, Perigny-sur-Yerres, Val-de-Marne : 500 peintures, 300 gravures depuis 1974, quelques oeuvres depuis 1966 et la
Maison Falbala ;
Lieux publics : Les environnements du cycle Hourloupe :
-1965-1977, Epokhé, céramique de 4,50 x 22,50 m pour le mur extérieur du musée d'Art de Silkeborg, Danemark; à l'origine, commandé par l'État français pour l'université de Nanterre, ensuite, sollicité par Jorn*.
-1967-1988, Tour aux figures, commande de l'État, érigée sur l'île Saint-Germain à Issy-les-Moulineaux, 24 m de haut sur 12 m de large; à l'intérieur, le Gastrovolve, rampe de 100 m de développement permettant la visite. Empreint de "gravité dramatique", selon son concepteur.
-1968-1973, Le Jardin d'émail, 600 m2, dans les jardins de la Hoge Veluwe, qui abrite le musée Kroller-Muller, à Arnhem, Pays-Bas.
-1968-1970, Le Jardin d'hiver, Musée national d'art moderne, Paris.
-1969-1976, La Closerie Falbala, à Perigny-sur-Yerre, Val-de-Marne, à la Fondation Jean Dubuffet ; cet ensemble entoure la "Villa Falbala", qui abrite le cabinet logologique.
-1969-1988, Le Boqueteau, Flaine, Haute-Savoie, 9,20 m de haut, fait de tracés noirs, sans rouge, n bleu ni stries, peinture blanche en polyuréthane, commandé par les inventeurs de la station, Éric et Sylvie Boissonnas.
-1970-1972, Le Groupe des quatre arbres, 100 m2, 12 m de haut, commandé par David Rockfeller pour l'esplanade de la Chase Manhattan à New York.
-1972-1988, Le Réséda, Caisse des dépôts et consignation, Paris. 1973-1988, L'Accueillant, hôpital Robert-Debré, Paris.
-1973, La Tour Ballerine, 36 m2, 15 m de haut, commandée par la banque Lambert à Bruxelles por l'esplanade devant son siège social. 1973-1975, Salon d'Été, 1 800 m_, commandé par la régie Renault à Boulogne-Billancourt; interrompu en 1976 lors du changement de Président, enterré sous une dalle de béton; l'artiste gagne son procès en 1983, mais reonce à son droit d'exiger la réalisation.
-1980, Le Monument au fantôme, 100 m2, 15 m de haut, South Front Lawn, Houston, Detroit, Michigan. -1980, Le Monument à la bête debout, Randolph/Michigan Streets, Chicago.
-1980, Le Manoir d'Essor, pour le Louisiana, Danemark.
-1996, La Chaufferie avec cheminée, 14 m de haut, polychrome, Vitry-sur-Seine, qui devait, à l'origine, être annexée à la Villa Falbala, mais cette dernière est en noir et blanc et l'ajustement posait es problèmes techniques.
Citation(s) : Il a dit :
-Ce ne sont pas les objets dont la figuration me paraît féconde, mais ce qu'il y a entre les objets, ce que le conditionnement culturel incite à regarder comme des vides. Ce me paraît être justement ces vides qu'il y a lieu de peupler [...] C'est le peuplement de ces intervalles (par des projections mentales qu'ils suscitent) à quoi je porte le plus constamment mon effort. Figurer le rien, figurer du moins ce qui n'a pas de nom, l'indéterminé, m'apparaît la tâche essentielle du peintre. [...] Il faut s'imaginer qu'aux yeux d'êtres autres que nous, l'univers matériel est continu et ne présente pas de vides; ce que nous appelons des objets répond seulement à une condensation, en un point donné, de vibrations qui, plus ou moins denses, fourmillent de même partout ailleurs et y compris - moins denses là seulement - où nous croyons voir des vides.
Bibliographie(s) : Max Loreau, 38 fasicules, ca. 1960
Archives : Fondation Jean Dubuffet, 137, rue de Sèvres, Paris VIe.