Fiche de présentation

MATISSE, Henri

né le 31 décembre 1869 au Cateau, Nord, France; facultéde droit de Paris et clerc d'avoué à Saint-Quentin; 1890, opéré de l'appendicite, il voit un camarade copier des chromos pour se distraire, et cela décide de sa vocation; 1891, école Quentin-Latour à Saint-Quentin; 1882, Arts décoratifs de Paris, élève deBouguereau et surtout de Gustave Moreau; lors de vacances à Belle-Île, un peintre impressionniste, Émile Wéry*, lui fait découvrir la division de la couleur; 1898, voit Turner à Londres, puis découvre en Corse la lumière méditerranéenne; 1899, étudie la sulpture dans une école rue Étienne-Marcel et travaille chez Bourdelle* à la Grande Chaumière*; naissance de Jean Matisse*; 1900, de Pierre Matisse*; 1905, 1914, séjourne à Collioure*; 1908-1911, crée l'académie Matisse* à Montparnasse*; 1910, voyage au Maroc; 1911, Moscou, invité par Chtchoukine; 1921, s'installe définitivement à Nice ; 1934, pendant les vingt dernières années, il a comme secrétaire, modèle et assistante Lydia Delectorskaya*; 1942-1944, comme autre modèle, Monique Bourgeois, infirmière qui entre en religion et est à l'origine de la Chapelle de Vence, (voir infra); 1951, comme infirmière et assistante Denise Arokas*; 1954, meurt le 3 novembre à Cimiez-Nice.

Type(s) : Artiste

Technique(s) : Collagiste - Peintre - Sculpteur

Présentation : Comme la plupart des artistes, grands ou autres, il commence par copier; dans les tons bitumeux, c'est La Raie de Chardin, (musée Matisse, Le Cateau, ou MMCa). Pointilliste avec Buffet, (1899, musée d'Ikeda).Sa première toile personnelle d'une facture parfaitement conventionnelle, Nature morte aux livres, (1890), elle, est signée Essitam. L'Autoportrait, (1900, MNAM), anticpie le fauvisme*, comme déja Les Oliviers en Corse, (1898, MAPP), Le Jardin du Luxembourg, (1901, MRL), préfigurant le Kandinsky* de Murnau, en passant par La Bouteille de Schiedam, (1902, MPP), si visiblement inspirée de Manet ; ces oeuvres permettent de déchiffrer la quête d'un style. Durant la dernière année du XIXe, il rompt. Nu dans l'atelier, (1899, Ishivashi Fondation) comme Luxe, calme et volupté, (1904, ORS) sont neo-impressionnistes* par le rapprochement des couleurs, l'emploi du divisionnisme de la touche à la place du point et le plombage des figures qui annoncent le fauvisme. Marquet* affirme que le fauvisme commence pour Matisse et pour lui en 1898. De cette date à 1903, on dispose d'une série de pochades de natures mortes, effectivement préfauves, (MAMVP).
Jusqu'en 1905, il se cherche encore ; une toile comme Notre-Dame en fin d'après-midi, (1902, BAAG) est déjà très personnelle par la simplification des formes réduites aux contours ; de 1899 à 1905, on trouve aussi du pointillisme inspiré de Signac, des natures mortes cézanniennes et des toiles néo-impressionnistes, Jeune Fille à l'ombrelle, (1905, MMCi). En 1905 il devient chef de file des fauves ;  c'est la mutation radicale, Tulipes perroquet, (1905, Albertina).  On peut rapprocher Luxe, calme et volupté, du Bonheur de vivre, (1905-1906, Bar), mais, ici, au lieu de pointillisme, c'est la couleur pure en plage qui sert de graphisme, mêlée à des touches divisées, Vue de Collioure, (1905, Erm). Lorsqu'il le faut, Fenêtre ouverte à Collioure, (1905, MMCi) ou Intérieur à Collioure, (1905, KBe), il rejoint les touches séparées par des nuances plus claires. La Gitane, (1906, An), nettement expressionniste*, ou Marguerite, (1907, MPP), un rien naïve*  dans sa simplicité extrême, restent en dehors du registre habituel de ces années. La Japonaise au bord de l'eau, Madame Matisse, (1905, MoMA), totale dissolution du personnage dans la couleur ambiante. Dans La Femme au chapeau, (1905) apparaissent ces déformations du corps que l'on appellera "gonflements". La Femme assise, (1908, Erm), enchaîné avec ce trait en orbe. Dans Nu debout, (1907 Tate), comme dans le fusain, Nu allongé, (1938), il y a quelque tentation cubiste*. De 1908 à 1913, une série de tableaux, La Chambre rouge, (1908, Erm), Nature morte camaïeu bleu, (1909, ibid), Fruits, fleurs, panneau "La danse", (1909, ibid), Nature morte Espagne, (1910-1911, ibid), L'Intérieur aux aubergines, (1911, MPSG), Coin d'atelier, (1912, MAPP), Nature morte, arums, iris, mimosas, (1913, ibid.) enveloppent les sujets dans les grands motifs appuyés de la toile de Jouy murale : tout est fondu, la perspective est gommée, les tables parfois déployées à la verticale comme chez le Braque des années 1920. Parallèlement, il y a la période africaine, avec notamment Le Triptyque marocain, (1912, MAPP), ici le trait est absent au profit de la couleur, bleu et saumon, appliquée en zones juxtaposées, comme déjà dans Les Joueurs de boules, (1908, Erm), teintes pâles, captées dans la lumière dissolvante qui rend les contours flous 'éblouissement solaire : Marocain dans son habit vert, (1913, Erm), Café arabe, (1913, ibid.). Jamais d'ombre, tout est couleurs.
La Danse :
 Il y en a deux séries, celle des années 1910 et celle des années 1930. La Joie de vivre, (1906, Bar) est focalisée sur une ronde qui est la première esquisse de La Danse. En 1907, il s'intéresse aux figures nues, en silhouettes couleur chair, dans un environnement dépouillé, Le Luxe I, (1907, MNAM) et Le Luxe II, Fleurs et Fruits, (1909, MAPP), on aperçoit une version de La Danse ; il s'agit de la toile du MoMA, effectivement date de 1909, tandis que La Danse, (Erm) date de 1910, comme La Musique ; ces deux derniers panneaux ont été peints pour l'escalier du collectionneur Chtchoukine. Une Danse, dynamique, et une Musique, statique, toutes deux ne recourant qu'à trois couleurs, l'orange, le bleu et le vert. Les cinq personnages de cette Danse de 2,60 x 3,91 m, ocre à chevelure rouille, sont disposés en cercle fermé, trois de face, deux de dos, sur un orbe vert bouteille et un ciel bleu roi. Dans la version du MoMA, les danseurs sont roses à chevelure noire et la femme de gauche présente un important repentir dans le bras droit, celle de droite une distorsion dans l'échelle. Tout est déjà dans ces deux Danse ; rien de plus ne se retouvera dans les toiles des années 1930 (sinon le style touché par l'Art déco*) : l'éclatement de quelques couleurs rehaussées de sombre pour la chevelure, le mouvement des corps réduits à des silhouettes, une calligraphie aussi expressive que simple; la courbure des corps habités tant de mouvement que de légèreté, mais la simplification accrue des lignes, le choix des couleurs froides, font glisser cette série vers l'Art déco*. La Fondation Barnes* commande à Matisse, en 1930, une version de La Danse pour l'insérer dans l'architecture du musée, ce qui l'amène à créer une mise en page répartie dans une triple arcade de 15 x 3,50 m;  les personnages sont dessinés d'une seule venue à l'aide d'un fusain attaché à un bambou sur des papiers (technique explitée pour elle-même, dans les Papiers collés, cf. infra), fixés ensuite sur la toile, rectifiés et mis dans les quatre couleurs employées, le bleu, le rose, le gris clair et le noir, par un peintre en bâtiment; une erreur de dimension lu fait recommencer son travail, de sorte que la version Barnes date de 1932, tandis que l'original, de 1930, acquis par la ville de Paris, dort dans les réserves jusqu'à son exposition en 1977, dans le musée de la ville. La version Barnes suggère plus une lutte d'amour de ses 8 figures ; celle de Paris, une lutte guerrière de ses 5 figures. En 1992, dans le grenier de Pierre Matisse* à New York, on découvre, lors de l'inventaire de succession, une version préparatoire à celle de la Fondation Barnes, demeurée inachevée, avant que ne soit découvert le subterfuge de l'intermédiaire papier pour la composition. Cette version est également au musée de la ville de Paris. Son état même d'ébauche en gris pierreux lui confère une monumentalité d'arcade romane que n'ontpas les deux versions achevées. Dans l'un des trois intérieurs d'atelier, la Danse est à nouveau citée : Les Capucines et la Danse II (1912, MAPP), version Chtchoukine de 1910, Les Capucines, et la Danse I, (1912,MET).
Dans ces années, il recherche aussi la synthèse entre les traditions orientale et occidentale, entre le réalisme et la décoration, entre la profondeur (de la fenêtre) et la surface (du tapis) : Intérieur aux aubergines, (1911, MPSG). Dans (1908, Erm), les plans sont fondus autour d'une fenêtre, créant le "vide" qui sera cher à Bonnard* une dizaine d'années plus tard. Le même vide se retrouve dans La Conversation, (1909, Erm), autour duquel des à-plats sont organisés avec les deux protagonistes qui ont entre eux cette distance que reprendra, en 1970, Hockney* pour Mr. and Mrs. Clark and Percy.
L'abstraction
Le souci de l'abstraction* ne lui est pas étranger : Les Baigneuss près d'un rocher, (1909-1913-1916, AIC). Il s'agit d'un projet pour Chtchoukine, repris deux fois, construit en diptyque : à quatre figures sculpturales aux visages aveugles répondent quatre zones de couleurs. On garde l'esquisse d'un chef-d'oeuvre, Nymphes dans la forêt, (1935-1943), avec ses grandes verticales dans un quintuple encadrement peint, jamais achevé, pas plus que Thé dans le jardin, (1914, LACMA), aux visages expédiés. Dans une volonté d'abstraction, Fleurs et Céramique, (1911, SMG), et surtout Porte-fenêtre à Collioure, (1914, MNAM, fait uniquement de bandes verticales à la Barnett Newman*. Vue de Notre-Dame, (1914, MoMA) ou encore Les Marocains, (1915-1916, MoMA), avec son partage en trois zones, deux horizontales, à gauche, sur fond noir, le balcon et les orants,et une verticale, à droite avec l'imam assis de dos, tout n'est qu'amas de cercles.
Le Peintre et son modèle, (1917, MNAM, Paris), Le Violoniste à la fenêtre, (1916-1917, MNAM) montrent son goût pour la verticalité ainsi que l'Art nouveau* pour lui de créer des perspectives en ouvrant une fenêtre en diagonale, Le Bocal de poissons rouges, (1914, MNAM) ou, plus tard en reflétant dans des miroirs les scènes qui se trouvent dans le dos du spectateur, Intérieur rouge, (1948, NAM), ou encore en plaçant un tableau qui fait office d'ouverture dans l'enfermement de l'intérieur. Ce qui prédomine et reste comme la marque du style Matisse, c'est la simplification du dessin au trait souple, suprêmement élégant, limitant l'orbidité de formes gonflées et l'usage de la couleur sans dégradés : La Nymphe et le Satyre, (1909, Erm) ou Nature morte aux poissons rouges, (1911, MPP). Il a l'audace, dans Nature morte au miroir, (1920, collection Reader's Digest), de conacrer un tiers de la toile à un miroir noir dans lequel les anémones ne se reflètent pas ; il est de la même famille que cette série de portraits, dépouillés, austères, presque durs mais d'une force prégnante : Chtchoukine, (1912), Portrait de la femme du peintre, (1913, Erm), Auguste Pellerin, (1917, MNAM), Greta Prazor, (1916, MNAM), Michaël Stein, (1926, MAMStE), tous ont déjà le même ovale simplificateur du visage que prendra, en 1950, le diaphane Saint-Dominique de la chapelle de Vence. Ce souci d'épurement se traduit dans tout l'oeuvre; on le peut comparer avec la simplicité des icônes : Triptyque aux trois soeurs, (1917, Bar). De La Tête de Louise, (1916) au Fauteuil rocaille, (1946, en passant par L'Odalisque au poisson rouge, (1926), Le Rêve, (1935, MNAM), la simplification chemine et parfois de pair avec les motifs ornementaux qui accentuent, par contraste, la simplicité du trait : Nu assis sur fond ornemental, (1925-1926, MNAM), Blouse roumaine, (1940, MNAM), Nature morte aux magnolias, (1941, MNAM).
Les papiers découpés.
En 1936, un voyage à Tahiti lui fait découvrir la valeur ornementale du découpage des figures, Fenêtre à Tahiti, (MMCa). En sortent, à compter de 1943, les papiers découpés, oeuvres formées de diverses composantes simplifiées, silhouettes rapprochées les unes des autres, comme les résultants d'un travail au pochoir, taillés dans des papiers multicolores, unis de couleur vives ou des papiers peints par l'artiste, à la gouache ou par un assistant, Jazz, (1943-1946, MNAM) suite de 20 planches. Matisse découpe ces papiers à la main levée et les ajuste sur une surface de papier uni. Dans leur exécution, le rôle de Lydia Delectorskaya* est important. Il explique : "C'est un moyen de simplifier. Au lieu de déterminer un contour, puis de le remplir de couleur, l'un modifiant l'autre, je dessine directement en couleurs. Cela garantit une union précise des deux procédés qui n'en font plus qu'un." Ce seront alors Polynésie, (1946, MMCa, et MNAM), Océan, le ciel, océan, la mer, (1946 et 1947, MNAM), La Négresse, (1953-1954, NGW) ou la Grande Composition aux masques, (1953), de 10 x6 m. L'inspiration vient avant tout des végétaux et des minéraux, Projet de vitraux pour la chapelle de Vence, (1949, MNAM, Paris et Musées du Vatican), multicolores, mais il réalise une haute figure de femme, Zulma, (1950, MMKF), en gouache sur papiers découpés, avec l'ouverture du peignoir et l'esquisse linéaire des seins, et surtout La Piscine, (1952, MoMA), fresque de 6 x 2 m qui courrait le long de sa salle à manger à l'hôtel Regina de Nice, faite de femmes bleues nageant. Enfin, La Perruche et la sirène, (1952, SMA), de 3,37 x 7,73, l'un des plus grands et La Vigne, (1953, MMCa) et La Gerbe, (1953, Ham), parmi les derniers. On songe au mot de Lhote : "Matisse ou la pureté". Dans Les Abeilles, (1948, MMCi), maquette de vitrail pour un groupe scolaire de Cateau, petits carrés multicolores rangés en rectangles verticaux scandés et coupés de deux vols horizontaux de carrés blancs et noirs, il frise l'art optique*. La Perruche et la sirène, (1952-1953, SMA) étale un graphisme en liaison étroite avec les papiers découpés dans un chromatisme limité aux bleu, violet, vert et orange. De la même année (1953, Tate), une composition approximativement aussi grande (3 x 3 m), The Sail, faite de figures carrées, vert, violet, jaune, bleu et noir, à la dominante acide d'une fin d'existence éblouie. Les Nus bleus, (1952, MMCi), monochromes aux ombres en creux blancs, relèvent de la même technique.
La chapelle :
A l'inititiative de l'un de ses modèles, infirmière, artiste quelque peu, devenue dominicaine, Soeur Jacques-Marie, née Monique Bourgeois, (Fontainebleau, 1921- Bidart, 2005), de 1948 à 1951, Matisse se consacre à la chapelle des dominicaines de Vence dont il conçoit l'architecture, les vitraux, à l'instar des papiers découpés ne reprenant que les couleurs de la nature, le bleu, le vert, le jaune, les ornements (aujourd'hui au musée d'Art moderne du Vatican), les fresques, le chemin de croix et le Saint-Dominique mural, ultime aboutissement du dépouillement : quelque traits noirs sur un mur blanc. "Donner à une surface très limitée l'idée d'immensité". La porte du confessionnal, inspirée de la découpe des tissus de moucharabieh qu'il collectionne, laisse passer la lumière des vitraux qui, par alchimie, se projette en violet sur le mur. À ce propos Chagall* confie au père Couturier* : "Un inspiré ne choisit pas, un autre choisit pour lui."
Le sculpteur.
Il étudie la sculptue depuis 1899, de Rodin, Le Serf, (1903, MMCa) à l'abstraction, en passant par l'expressionnisme* Nu, (1907).  C'est ainsi que dans la suite des Quatre nus vus de dos, tirés à 10 ex. (MNAM, MMCi), on peut voir l'évolution de 1909 à 1930 ;  de même, dans Jeannette, de 1910 à 1913, qui influencent le Picasso* du cycle de Boisgeloup. La première sculpture date de la première année du siècle, Le Serf, Homme nu, (1900, MoMA). L'une des dernières sculptures est Vénus à la coquille, (1930-1932, MNAM), de facture postcubiste. Il pratique le modelage sans armature. L'oeuvre sculpté compte 69 numéro.
Il est aussi auteur de livres et de décors de théâtre, plus particulièrement dans les années 1930 et 1940 et d''enveloppes illustrées adressées à André Rouveyre*, (1941-1954).
Le graveur.
A compter de 1900 et jusqu'en 1938, il ne cesse de graver, lino, xylo ou pointe sèche ; la femme nue par prédilection. ; plus sensuel que ses peintures, parce qu'encore plus réducteur aux courbes essentielles.

Expositions : 1901, Salon des Indépendants, Pais, et Berthe Weill, Paris, (P) ; 1908, Alfred Stieglitz, New York, (P).

Rétrospective : 1910, Bernheim, Paris ; 1970, Grand Palais, Paris ; 1992, Museum of Modern Art, New York ; 1993, Centre Pompidou, Paris ; 2011, Fondation Bismarck, Paris, (gravures) ; 2014, Tate Modern, Londres, (papiers découpés.

Musées :

  • musée Matisse, Cimiez, Nice : une cinquantaine de sculptures soit la presque totalité de l'oeuvre sculpté;
  • musée Matisse, Le Cateau, Nord : abondance de dessins répartis sur presque toute la carrière; 433 papiers peint découpés non-utlisés
  • Fondation Barnes, Philadelphie : une soixantaine d'oeuvres;
  • chapelle de dominicaines, Vence (Alpes-Maritimes);
  • Staats useum for Kunst, Copenhague : 19 oeuvres.

Citation(s) : Il a dit :
- Ce que je rêve, c'est un art d'équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit pour tout travailleur cérébral, pour l'homme d'affaires aussi bien que pour l'artiste des lettres par exemple, un lénifiant, un calme cérébral, quelque chose d'analogue à un beau fauteuil qui le délasse ds fatigues physiques [...]. J'ai eu comme tout le monde ma part de soucis, de difficultés, de malheurs, de douleurs. Pourquoi mon oeuvre n'y fait-elle pas allusion? Parce que j'ai toujours préféré les garder pour moi seul, et ne livrer aux autres que la beauté de l'univers et ma joie de peindre. Vers la fin de la Première Guerre, je séjournais dans le Midi. Renoir était très âgé; comme je l'admirais beaucoup, j'allai le voir dans sa maison de Cagnes, Les Collettes. Il me reçut cordialement et je lui préssentai quelques-unes de mes toiles, pour connaître son opinion. Il les regarda d'un air plutôt désapprobateur, puis il dit : "À la vérité, je n'aime pas ce que vous faites. J'aimerais presque dire que vous n'êtes pas un bon peintre, ou même que vous êtes un très mauvais peintre. Mais une chose m'en empêche; quand vous placez du noir sur la toile, il reste à son plan. Toute ma vie, j'ai pensé qu'on ne pouvait s'en servir sans rompre l'unité chromatique de la surface. C'est une teinte que j'ai bannie de ma palette Quant à vous, utilisant un vocabulaire coloré, vous introduisez le noir, et cela tient. Alors, malgré mon sentiment, je crois que vous êtes sûrement un peintre." N'ayez pas peur d'être banals. J'ai travaillé des années pour que l'on se dise : " Matisse, ce n'est que ça! " En art, ce qui peut se dire en mots ne compte pas. Réunir le passé avec l'avenir de la tradition. La révélation m'est toujours venue d'Orient. (Après son voyage à Moscou, en 1911, et la découverte des icônes).
- Toute ma vie, je me suis guidé sur ce que j'ai fait, pas sur ce que j'ai pensé. Je me suis mis à faire du papier découpé pour associer la couleur et le dessin d'un même mouvement. Il n'y a aucune intelligence dans ce que je fais. Je ne suis pas assez intelligent, je ne peux pas fair autre chose que ce qui sort de moi. Il y a une seule personne qui ait le droit de me critiquer, c'est Picasso.
-  Celui qui commence par le signe aboutit à une impasse. Moi, je suis allé des objets aux signes.
-  Le chemin que fait mon crayon sur la feuille a en partie quelque chose d'analogue au geste d'un homme qui chercherait à tâtons son chemin dans l'obscurité. Je veux dire que ma route n'a rien de prévu, je suis conduit, je ne conduis pas." "L'exactitude n'est pas la vérité." "Est-ce que je crois en Dieu?. Oui, je crois quand je travaille. Quand je suis docile et modeste, je me sens entouré par quelqu'un qui me fait faire des choses dont je ne suis pas capable." "J'ai commencé avec le profane et maintenant, au soir de ma vie, je termine par le divin" (à propos de la chapelle de Vence).
- Tout art digne de ce nom est religieux.
- Picasso : "Comment peux-tu peindre une chapelle ?"  et Matisse : "C'est comme décorer un bordel"
On a dit :
- Nice regarde son peintre et se peint dans ses yeux. (Aragon).
- Moi aussi j'aurais pu faire des choses comme lui; il suffit de travailler en aveugle. (Hans Arp).
- Matisse? Je préfère Tintin. C'est aussi simplifié mais c'est plus amusant. (Balthus).
-"Si on me dit que les couleurs de Matisse sont complémentaires, je répondrai qu'en effet, elles ne cessent pas de se faire autre chose que des compliments.  ( Salvador Dali).
- Matisse, le teinturier. (Derain).
- Le père Couturier me parle de Matisse avec une grande admiration. Le peintre fait des dessins pour un vitrail destiné à l'église de Vence. Il s'agit 'un saint Dominique, mais Matisse est malade, dessine au lit et sa main tremble. Quelqu'un lui dit : Ne vous énervez pas. Il répond ce cri que je ne peux m'empêcher de trouver beau, étant donné que c'est Matisse qui parle : Je ne m'énerve pas. J'ai le trac.(Julien Green).
- Une couleur n'a pas besoin d'avoir une forme définie. Ce n'est même pas désirable. Quand elle atteint un point un peu au-delà de ses limites, elle s'irradie jusqu'à la zone neutre, et l'autre teinte la rejoint au bout de sa course. À ce mment-là, on peut dire que la couleur respire. Matisse peint ainsi, et c'est pour cela que je dis : il a de si bons poumons. En règle générale, moi, je n'utilise pas ce langage. Je travaille d'une manière assez traditionnelle, comme Tintoretto et le Greco qi peignaient entièrement en camaïeu, à la tempera, et, vers la fin, ajoutaient des glacis transparents et sonores, pour accentuer les contrastes. Le fait qu'il y ait une certaine touche de rouge n'est pas un trait essentiel. La peinture a été construite; n pourrait retirer le rouge, elle continuerait d'exister. Mais chez Matisse, il serait impensable de supprimer un plan rouge, si petit soit-il, sans que l'effet global ne s'en trouve détruit. (Picasso).
- Il s'éteint entre vous deux (Braque et Picasso), Il a oublié les formes et les volumes. La couleur compte trop et on l'impression qu'on pourrait mettre des couches de couleur en peignant même les murs. Et cela donne l'impression de toiles peintes tandis que vous donnez l'impression de sculptures colorisées.    (Paul Rosenberg).
- S i Matisse avait pu prévoir que la lumière deviendrait rose mauve, me dit-il, après l'une de nos visites à la chapelle, il aurait mieux valu qu'il utilise d'autres couleurs pour contrebalancer cette teinte. Si, par contre, l'effet recherché était la décoration blanche et noire, il aurait suffi d'une tache rouge, ou d'une volonté bien définie. Avec cette résultante rose mauve, on a l'impression d'être dans une salle de bain.[...]   Mais pour quoi faites-vous ces choses-là? Je serais d'accord si vous étiez croyant. Dans le cas contraire, je pense que vous n'e avez moralement pas le droit. - Pour moi, rétorqua Matisse, tout cela est essentiellement une oeuvre d'art. Je médite, et me pénètre de ce que j'entreprends. Je ne sais pas si j'ai ou non la foi. Peut-être suis-je plutôt bouddhiste. L'essentiel est de traailler dans un état d'esprit proche de la prière. [...] J'agis ainsi, disait-il, je pars d'une sensation reçue, mon sentiment ne change pas, il reste au centre de ma conception, et j'en essaie toutes les expressions possibles jusqu'à ce que j'en trouve un qui me satisfasse complètement. Quand je regarde un figuier, chaque feuille a un dessin différent. Elles ont chacune leur manière de bouger dans l'espace; et pourtant elles crient toutes, chacune à sa façon : figuier. [...] On ne peut jamais juger objectiement ce qui vient après soi. On sait apprécier les maîtres du passé, et même les contemporains. Parmi les jeunes, je comprends un peintre qui ne m'a pas totalement oublié, même s'il va au-delà de moi. Mais à partir du moment où il ne se réfère plus du tot à ce qui, pour moi, est peinture, je ne le comprends plus. Je ne peux davantage le juger. Cela me dépasse complètement.  (Picasso, à propos de la chapelle de Vence, dans Le Maître de l'amorphe, d'André Salmon).

Archives : Correspondance, Rouveyre-Matisse, 1940-1954, Kongelige Bibliotek, Copenhague, Danemark, 450 lettres et 350 enveloppes décorées.