Fiche de présentation

FAUTRIER, Jean

né le 16 mai 1898 à Paris, France; 1908, rejoint sa mère à Londres ; 1916, Royal Academy, puis Slade School, mais se forme surtout en fréquentant la Tate et en se confrontant à Turner ; 1920, revient à Paris ; 1934-1939, démuni, devient moniteur de ski, ouvre des boîtes de nuit à Val d'Isère et ne peint que très peu ; 1940, se remet à peindre ; 1943, réfugié dans une clinique de Châtenay-Malabry, Hauts-de-Seine, il est réveillé, certaines nuits, par les bruits des exécutions ; 1964, donation au musée de Sceaux et au Musée d'Art moderne de la ville, Paris ;  meurt le 21 juillet à Châtenay-Malabry, et y est inhumé.

Type(s) : Artiste

Technique(s) : Peintre - Sculpteur

Présentation : Avec L'Autoportrait au fond vert, (ca.1916), il est le contemporain du Novecento*, tout en lui apportant une touche personnelle, par la fusion chromatique du sujet et de son environnement et par la légère géométrisation de celui-ci, mur nu, rideau et morceau de fenêtre. La Promenade du dimanche, (1921, MAMVP) et Portrait de ma concierge, (1922-1923, musée, Tourcoing), vériste*, montrent des débuts naturalistes qu'il traite souvent en légères plongées ou contre-plongées. Il est expressionniste* avec Paysage d'Ile-de-France, (1924, musée de Sceaux). S'enfoncer dans les années 25, c'est aborder ce qu'il appelle sa " période noire " de tendance expressionniste*; Maison close, (1925),les natures mortes, les fleurs,  Les Pensées, (1926, musée Roger-Quillot, Clemont-Ferrand) , terrifantes comme le panier d'yeux de Malaparte,   les huit paysages de montagne, émergent des ténèbres dans lesquelles ils demeurent fondus, mais qu'un reflet de couleur distingue, brunissages de la Femme au tablier bleu, (MPOi); que distinguent bientôt ces griffures dans la pâte épaisse creusée à l'ente, pour signifier ici les poils, à les crins, Le Grand Sanglier noir, (1926, MAMVP), Le Sanglier écorché, (1927, MNAM), mais encore les contours des bras, des seins d'une douzaine de petits nus (1926), du papier emballant les fleurs, de leur vasque, des arbres de la montagne, La Forêt, (ca.1928-1930), des replis de leur cirque. À la dureté de ces éraflures incisées répond le duvet de la technique du houppé qui, par le tapotement de la brosse à la verticale de la toile, nuage les contours. Le dépouillement des sujets réduit une forme à quelques lignes, empêche l'attention de se disperser. Les ténèbres se dissolvent en 1929, Les Poissons, (MPSG). La forme, pour partie houppée, pour partie grattée, ressort sur un fond de pâte où apparaissent des jaunes et des bleus. S'ouvre, de 1927 à 1930, une période rousse - ce qu'il nomme sa " période chocolat " -, à la pâte amincie. L'ocre domine dans une série de têtes de 1927; dans L'Homme ouvert, (1928, MBADi), à l'anatomie arbitrairement écorchée, à la verticale comme se redressant avec un mouvement de recul contre l'outrage; dans Mariette, (1929, MAMVP), à la vigueur antique malgré le nuagisme* de la facture et dans Le Grand Nu de face, (1930, Mus. de Picardie), ocre toujours avec les touffes du sexe, des seins, des cls, de la toison. Trois Crucifixion, en 1927, reprennent le thème abordé avec Christ en croix, (1925, Vd'A); elles sont hiératiques, griffées, tamponnées; un exemplaire est acquis par Paul VI pour le musée d'art sacré du Vatican, et un autre par Baselitz*. Simultanément, la série des Fleurs,(1929-1930) retrouve l'alliance de l'aîgu et du doux des précédentes natures mortes. Une exception, Les Arbres, (1928, MAMVP), lacis de traits à la forme délitée comme une série d'autres toiles qui tendent à l'abstraction. Ère de la placidité nocturne. Vient alors, après une rupture de six ans, le second versant qui enchaîne, dans la clarté, avec les premiers essais d'informalité et d'abstraction : femmes et natures mortes de la même facture que jadis, avec le recours à des arrondis, à des sinuosités dynamiques, à des horizontalités sereines. Il introduit dans sa peinture de nouveaux matériaux, plâtres, enduits, triturés qui produisent un effet d'empâtements et d'harmonies pâles, cernés d'un léger trait. Il se veut abstrait mais toujours figuratif, évocateur plus que réaliste*, Forêt, (1943, MAMVP), Femme douce, (1946, MNAM).
C'est alors que s'impose l'une des séries les plus fameuses, celle des Otages, peinte de 1942 à 1948, (et reprise, au moment de l'insurrection de Budapest en 1956, sous le titre de Partisans, mais signée et datée de 1945. L'Écorché, (1942), La Juive, (1943), Le Massacre, (1944), Le Fusillé, (1947) accompagnent les figures d'otages et leurs titres disent à suffisance l'obsession des corps bafoués, torturés, déchirés. La traduction de ces tronçons d'humanité est informelle, ovales de plâtres malaxés sur toile, prolongés de quelque reste de visage et de membres au sortir d'une chambre de tourments. Pas de sang, seule une haute pâte de tuméfactions. Cri de protestation devant la bestialité de l'homme pour l'homme, De la même période, Otage, (1943, musée de Sceaux), bronze de visage aplati au nez aigu. C'est l'illustration de la parole d'Isaïe (52,14 svts) : " Son apparence n' était plus celle d'un homme. " Il revient ensuite aux natures mortes, d'une facture différente des précédentes : une forme plâtrée, suggestive, rehaussée de traits qui la précisent, dans une palette claire, Les Boîtes de conserve, (1947, MAMVP), La Clef, (1949, MAMVP), Les Dattes, (1955, DMCH), et  Soleils, (1956), Il peint des nus, de même matière, de même ellipse, Alice, (1956) ou Johanna, (1957), au trait continu des jambes repliées devant les cuisses, signes de la vie dans la mort. Enfin, la non-figuration* définitive, avec ses tourbillons, ses diagonales gestuelles, Les Grands Végétaux, L'Otage aux mains, (1958, DMCH).
Les treize ans qui séparent (1944) de Body and Soul, (1957), et Forêt, (1943, MAMVP) de Garrigues, (1956, MAMVP) démontrent la continuité. Seules nouveautés, les constructions cubiques, joyaux de matières et de couleurs marqués de traits en grillages (1957-1963), Grand Place Budapest, (1957), et des horizontaux marins (1957-1960), aux strates améthyste et émeraude, Sunset in Alabama, (1957, MAMVP), Sans titre, (1961) en ressort plus ou moins accusé.. En 1958, il produit de petites oeuvres hachurées de couleurs, signées aux quatre angles pour signifier qu'elles peuvent être accrochées comme bon semble. C'est un Chardin du XXe siècle et un modéliste du matériau chargé de tragédie.
Il est tout naturellement sculpteur, par modelage, de 1927 à 1929 et de 1935 à 1943, puisque sa peinture est sculpture à plat. Ce sont des mêmes fragments d'humanité saccagée, tête énucléée, torse boursouflé, tête mutilée. Ainsi que lithographe (300 estampes environ), série de l'Enfer, (1938), anticipant l'informalité qui devient sienne après 1940. Il recommence l'Enfer, (1942), sur commande de Gallimard : 34 pastels, qui ne connaissent pas d'édition et deviennent estampes à très petit tirage.

Expositions : 1922, Salon d'Automne, Paris ; 1924, Visconti, Paris, (P).

Rétrospective : 1964, Musée d'Art moderne de la ville, Paris ; 1989, Musée d'Art moderne de la ville, Paris ; 2004, Fondation Giannada, Martigny.

Musées : Musée d'Art moderne de la ville, Paris, une dizaine d'oeuvres; musée de l'Île-de-France, château de Sceaux (Hauts-de-Seine), une dizaine d'oeuvres, surtout consacrées aux Otages.Très nombreuses oeuvres dans les collections privées allemandes dont la collection Werner* et 24 huiles dans la collection Karl-Heinrich Müller, ouverte au public dans l'île de Hombroich.

Citation(s) : Il a dit :
- Seul, être seul, désespérément seul, seul et se détacher.
On a dit :
- Ce sont les haut cris de la peinture. (Dubuffet).
- Les Otages aux culurs plombées, depuis toujours celles de la mort.   (Malraux).
- Cauchemar fuligineux accords bleus noirs, pourpres sanguinolents , verts profonds. Des apparitions spectrales qui hallucinent, émergent ds ces fonds de ténèbres     Louis Vauxcelles , 1927, créateur en 1905 du mot "les Fauves*)