Fiche de présentation

BRAQUE, Georges

né le 13 mai 1882 à Argenteuil-sur-Seine, Val-d'Oise, France ; 1893, Beaux-Arts du Havre ; 1899, entre dans l'entreprise de peinture de son père ; 1901-1902, service militaire ; 1902, académie Humbert ; Beaux-Arts, atelier de Bonnat ; 1905, impressionné par la salle des " fauves* du Salon d'Automne ; 1907, marqué par les deux rétrospectives Cézanne et par les Demoiselles d'Avignon de Picasso* qu'il voit au Bateau-Lavoir* où il est entraîné par Apollinaire ; travaille de conserve avec Picasso et invente avec lui le cubisme* ; il rencontre le marchand Kahnweiler* ; 1911, travaille à Céret* ; 1914-1915 : la guerre, deux citations, trépanation ; 1924, prend comme marchand Paul Rosenberg ; 1931, s'installe à Varengeville, en Normandie ; 1940, passe la guerre à Paris ; 1947, Aimé Maeght* devient son marchand ; 1963, meurt le 31 août ; funérailles nationales devant le Louvre, face à Saint-Germain-l'Auxerrois, éloge funèbre d'André Malraux.

Type(s) : Artiste

Technique(s) : Peintre - Sculpteur

Présentation : Lui qui fut peintre en bâtiment est un maçon de la peinture.
Sa palette est faite de mortier teinté et ses toiles sont solidement bâties par des éléments arrimés les uns aux autres, mûrement pensés et réfléchis ; il peint laborieusement au centre d'un cercle de toiles inachevées auxquelles il revient tantôt à l'une, tantôt à l'autre, les menant de front.
Les traces de son ancien métier se retrouvent dans l'usage du pochoir, dans l'imitation du faux bois, du faux marbre. Il plaît peu, car il n'introduit guère dans son œuvre la lumière du soleil, la couleur, la vie. Il se cantonne dans une force austère et mêle ses huiles de matériaux ingrats : sable, sciure de bois, limaille de fer. Il rompt rarement avec sa pratique des natures mortes : le corps humain apparaît, Nu, (1925, Tate), Duo, (1937, MNAM), Jeune fille à la palette, (1942, MUC), alors une vibration de soleil fait jouer, par la solution de continuité des couleurs, les ombres qui généralement ne s'opposent que par le contraste d'une lumière mate.
Exceptions que cet intérêt pour l'homme : on schématise à peine en disant que Braque est le seul géant qui n'ait jamais fait que des natures mortes ; il est un " Chardin janséniste ", selon le mot de Jean Leymarie.
Il est un peintre d'intérieurs clos, d'ateliers surchargés, renfermés sur eux-mêmes, reprenant sans cesse le sujet pour le seul plaisir de la forme, ignorant le jeu et la joie des couleurs, désespérément fidèle au quotidien le moins romanesque. L'intérieur confiné, c'est l'image ultime de sa réalité de toujours, puisque lorsqu'il lui arrive de peindre la mer, c'est en atelier !
Et pourtant, après des années impressionnistes (1900-1905), Côte de Grâce à Honfleur (1905, MBALH), il commence par une fulgurante participation au fauvisme*, en 1906. C'est à Anvers, non sans paradoxe, qu'il use pour la première fois de cette explosion colorée, Le Port d'Anvers, (1906, NGOs) ; puis il se rend à Marseille, L'Estaque, l'embarcadère, (1906, MNAM) - volé en plein jour, le 1er juin 1989, au MNAM, Paris, estimation : 20 millions de francs - et La Petite Baie de La Ciotat, (1907, MNAM), divisionniste avec quelques touches éclatantes sur une toile blanche qui font étinceler la mer derrière un premier plan d'arbres.
En 1907, sa manière va définitivement s'infléchir après qu'il a vu la double rétrospective Cézanne et Les Demoiselles d'Avignon, qui influence le Grand Nu, (1908), de la collection Maguy. Quant à Cézanne, c'est le coup de foudre qui suscite l'invention, de conserve avec Picasso, du cubisme* et la rupture sans transition avec la perspective de la Renaissance, le courage exceptionnel de tourner le dos à un métier déjà dominé et la persévérance dans la voie nouvelle.
En 1907-1909, son cubisme* est donc cézannien, Viaduc à l'Estaque, (1907, MIA), il restera dans la mouvance du maître d'Aix, Le Château de La Roche-Guyon, (1909, MNAM), dont les architectures sont géométriquement esquissées, avec une chute de tonalité au centre pour créer la perspective entre les arbres. En 1909, son cubisme* analytique se confond avec celui de Picasso*, aux côtés duquel il travaille ; comme il arrive que ni l'un ni l'autre ne signent leurs toiles, il est souvent difficile de les identifier ; durant ces années, il invente le rappel de la réalité par l'insertion discrète d'un clou en trompe l'œil dans la toile, Violon et palette, Le Portugais, (1911, KBÂ).
Les papiers collés :
En septembre 1912, ce seront les papiers collés*, Compotier et Verre, (1912), fusain avec papier peint, qu'il emploie régulièrement jusqu'en 1914 ; ils se différencient de ceux de Picasso par la neutralité des papiers par rapport à la réalité et la prépondérance donnée au dessin. Puis viennent des sculptures de carton, toutes détruites. Braque, comme Picasso, est inquiet de voir que le cubisme* analytique risque de le mener à l'abstraction. Il est préoccupé de ne pas lâcher la réalité ; passant devant un marchand de papiers peints dans une rue d'Avignon, il voit en vitrine un rouleau représentant du bois ; il profite de l'absence de Picasso - qui, en 1912, avait incorporé une toile cirée cannée - pour acheter ce rouleau et s'en servir dans une soixantaine de compositions : c'est l'Euréka du cubisme* synthétique.
Par ces "papiers collés", il invente cinq moyens :
- réaffirmer le recours à la réalité, comme il l'avait déjà fait avec son clou en trompe l'œil dans Violon et Palette - selon son mot, c'est "l'intrusion d'une certitude dans le domaine de l'illusion" ;
- introduire des lettres dans le tableau : il est le premier à incorporer des typographies, notamment dans l'huile Mozart Kubelick, (1912) ;
- user ensuite - relativement - de la couleur alors qu'elle avait disparu ;
- affirmer l'indépendance de la forme et de la couleur ;
- enfin, œuvrer à la frontalité et à l'aplatissement de la perspective.
Cette série de papiers collés constitue bien une tentative puisque, d'une part, il reprend ces " papiers " en à-plats d'huiles dans ses toiles, Femme à la guitare, (1913, MNAM), assimilant les acquis du découpage de papiers à la peinture, Le Joueur de mandoline, (1917, MNAM) ou Guitare et Verre, (1921, MNAM), et que, d'autre part, le premier papier collé, Compotier et Verre, est resté longtemps sans signature. Ces " gammes " sont devenues des œuvres d'art abouties par l'harmonie de leur construction et de leur composition complexe, Guitare et Clarinette (1918).
Les toiles ovales : 
En 1910 et jusqu'à 1919, des toiles ovales sont destinées à mieux mettre en valeur les axes horizontal et vertical. La première, c'est Le Jacquet, (1910). Reprenant l'idée des " tondis ", il l'élonge en bouclier papou et, au lieu d'épouser la courbe par la courbe, le peuple d'arêtes. Les objets vont retrouver leurs contours, leur réalité indépendante du cubisme, même si leurs arêtes saillent encore, Nature morte aux poires, (1922, MNAM), et si le jeu des ombres et des lumières se livre, sans dégradés, par de brutales oppositions. À partir de ce moment, il suit obstinément son sillon ; avec variations et modulations, le problème de la perspective est sans cesse repris, celui de l'organisation de l'espace ; l'aplatissement se conjugue avec la plongée, Fruits sur nappe et compotier (1925, MNAM).
Les séries :
Dans des teintes sombres, il va cimenter ses toiles par séries. Il y aura celle des Cheminées, (1920-1922), des Canéphores, (1922-1923), fortement déchiquetés, Canéphore (1922, MNAM), mais qui, malgré leur grisaille vert-de-gris, témoignent de l'intérêt pour la culture grecque, comme les plâtres gravés Héraclès et Zao, (1931, FMSP), blanc sur noir, rappelant, eux, le travail des vases antiques, avec des volutes méditerranéennes.
Viennent ensuite quinze Guéridons, (1920-1930), verticaux ou horizontaux, Le Guéridon, (1928, MoMA), à la sécante verticale qui annonce la trouvaille des Billards. La palette est funèbre, verts bouteille, gris, marrons et noirs terreux, puisqu'il est le peintre de la nuit. Exceptionnellement coloré, Le Guéridon, (1929, PCW). En 1930, dans la série des Nappes, il souffre quelque éclaircissement de teintes pastel assourdi et des festons qui font diversion, La Nappe rose, (1938, Th-B).
De 1944 à 1949, une série de sept Billards, (1944, et 1949, musée de Caracas), pliés selon l'arrête du mur ou du sol qu'ils traversent, apportant à la toile une nouvelle invention de structure. Il y a encore, çà et là, un jeu de lumière solaire, mais si rarement, et puis, de temps à autre, un éclair comme Les Tournesols sur la table, (1946, collection Reader's Digest de Philadelphie), avec la tablette relevée, la nappe en jaune chaud, aux festons raides couvrant le demi-cercle du plateau, portant les attributs du cubisme, pipe, broc, instrument de musique et débordant sur le cadre peint dans l'encadrement, dialogue du cercle et du carré. C'est sa dernière série, celle des huit Ateliers (1949-1956), qui résume et fait culminer son art : Atelier II, (1949, KNW) et Atelier IX, (1956, MNAM). (Si le dernier est numéroté IX, c'est que l'un de la série a été repris et supprimé de la suite numérotée.) Dans un univers plus replié que jamais, dans des teintes définitivement funèbres, il accumule et récapitule ses objets familiers, silencieux, immobiles, entassés et couverts, dirait-on, de la poussière de l'abandon ; il y introduit, dès 1949, l'Oiseau devenu célèbre, lorsqu'il sera traité pour lui-même comme un cri, le dernier, celui d'espérance, de libération et, quand les teintes vives (bleues, rouges) interviendront, de joie, enfin.
Les petits formats marine :
Il y a encore, de 1952 à 1959, des paysages de format marine, aux faibles dimensions, grèves ou champs, étirés autour d'une barque ou d'une charrue. Un tragique retenu s'y affirme et la profondeur, avec, parfois, un rehaut de couleurs. Sur son chevalet, au moment de sa mort, La Sarcleuse, (1961-1963, MNAM), réminiscence de Van Gogh comme l'ont été Les Soleils, (1951-1952).
Le sculpteur :
De 1939 à 1957, il sculpte, amené à cette technique par le manque de moyens dus à la guerre pour acquérir les matériaux de la peinture. Son activité est  intense jusqu'en 1945, plus réduite ensuite. Il pratique aussi bien la taille directe que le modelage, Les Oiseaux bleus, hommage à Picasso, (1963), fonte posthume.
Il a aussi travaillé le verre, sous l'impulsion de Costantini*. De 1961 à 1963, il crée des bijoux
.

Expositions : 1906, salon des Indépendants, Paris ; 1908, Kahnweiler, Paris, (P) ; 1911, Blaue Reiter, Munich, et Armory Show, New York.

Rétrospective : 1960, Kunsthalle, Bâle ; 1963, Haus der kunst, Munich ; 1973, Orangerie, Paris ; 1994, Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence.

Lieux publics : 1952-1953, plafond Etrusque, salle Henri-II, Louvre ; 1954, vitraux, église de Varengeville ; Mas Bernard, Saint-Paul-de-Vence.

Citation(s) : Il a dit :
- Il faut toujours avoir deux idées, l'une pour détruire l'autre.
- L' art est fait pour troubler, la science rassure.
- J'aime la règle qui corrige l'émotion. [...] Il ne faut pas imiter ce que l'on veut créer. Peindre n'est pas dépeindre. Il faut fuir la virtuosité.
On a dit :
 - Braque "aime la règle qui corrige l'émotion", alors que je ne fais moi, que nier violemment cette règle. Cette règle, où la prend-il ? Il doit encore y avoir une quelconque idée de Dieu là-dessous." (André Breton).
- Braque et sou goût parfait de modiste pauvre.   (Jean Cocteau).
- J'ai trouvé les tableaux de Braque pleins de force, tant dans les formes que dans les tons, et peints avec plus de cœur que ceux de Picasso. Pour moi, ils représentent l'instant où nous émergeons du nihilisme et où se rassemble en nous la matière de créations nouvelles. Ainsi, la ligne courbe remplace la ligne brisée et parmi les couleurs un bleu riche est particulièrement bienvenu ; puis un violet sombre qui vire au brun tendre et velouté. (Ernst Jünger, 30 septembre 1943).
- L'après-midi avec Jouhandeau chez Braque [...] Les murs étaient chargés de peintures. J'ai été particulièrement séduit par l'image d'une table noire dont la surface, bien plutôt qu'elle ne les reflétait, spiritualisait les coupes et les verres qui y étaient posés. L'ébauche d'une nature morte était posée sur le chevalet hérité de son père et recouvert d'une épaisse croûte de couleurs qui pendaient en stalactites bariolées. Conversation sur les rapports de la peinture impressionniste et du camouflage de guerre que Braque pensait avoir "inventé", car la destruction des formes par la couleur s'est accomplie d'abord dans son œuvre. Braque, qui déteste avoir devant lui le modèle ou l'objet, peint toujours de mémoire et c'est ce qui donne à ses tableaux la plus profonde des réalités, celle du rêve.
Comme chaque fois que je rencontre des créateurs, je lui ai demandé ce qu'il avait appris en vieillissant. Il répondit que l'âge avait pour charme d'établir en vous un état où l'on n'a plus à choisir - ce que j'interprète ainsi : la vie gagne avec l'âge en nécessité, et perd sa contingence ; elle suit un sens unique. Il ajoute : "Aussi faut-il arriver à ce que la création ne sorte plus de là mais d'ici." Et ce disant, il montrait d'abord son front, puis son diaphragme. L'ordre des gestes m'étonne, car on suppose en général que le travail devient plus conscient, et même là où la routine, l'expérience le simplifient, il s'agit encore d'ellipses conscientes dans les démarches créatrices. Pourtant ce geste me fit mieux comprendre le passage qui l'a conduit du cubisme à un réalisme plus profond. [...]
En Braque et Picasso, j'ai vu deux grands peintres de l'époque. Ils m'ont donné une impression de force égale, mais d'une nature spécifiquement différente, en ce sens que Picasso, cérébral, apparaît comme un magicien tout-puissant, tandis que Braque rayonne de cordialité " (Ernst Jünger, 4 octobre 1943).
- Il y a une part de l'honneur de la France qui s'appelle Georges Braque [...] Mais notre admiration [...] tient aussi au lien de ce génie avec la révolution picturale la plus importante du siècle, au rôle décisif joué par Braque dans la destruction de l'imitation des objets et des spectacles. [...] Braque et ses amis de 1910 nous révélaient aussi tout l'art du passé rebelle à l'illusion depuis notre peinture romane jusqu'au fond des siècles : patiemment ou sagement penchés sur leurs tableaux insultés, ces peintres ressuscitaient pour nous tout le passé du monde. (André Malraux, "Oraisons funèbres'").
- On n'est jamais plus sensible que devant Braque, au côté Cocteau, de Picasso. (Jean Paulhan).
- "Le" patron (Jean Paulhan).
- Oh ! Braque n'est que madame Picasso. Je n'aurais jamais pensé que tu puisses devenir le Vuillard du cubisme. Il a de la chance, il n'a jamais su ce que c'est que la curiosité. Accompagnant Braque à la gare d'Avignon, en 1914, je ne l'ai plus jamais revu. (Picasso).
- Il a voulu faire des pommes, lui aussi, comme Cézanne, et n'a jamais pu faire que des pommes des terre. (Picasso).

Bibliographie(s) : Dora Valier, Catalogue raisonné de l'œuvre gravé, Flammarion, Paris, 1982.